Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/961

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agirait-elle de plusieurs à la fois avec une égale force, et une égale soudaineté ; on laissait même entendre que ce ne sont pas les traités qui l’arrêteraient et que, par conséquent, ils ne devaient pas nous arrêter davantage ; on adressait à notre gouvernement des objurgations passionnées : Caveant consules ! écrivait-on avec le plus grand sérieux ; si nous ne prenions pas notre parti en temps opportun, nous nous laisserions devancer dans les voies mêmes où nous poussent nos intérêts les plus évidens. Ce langage n’est pas nouveau ; nous l’avons entendu autrefois ; les partisans d’une politique d’intervention active au Maroc l’ont déjà fait résonner à nos oreilles, et nous avons fait tous nos efforts pour tenir nos lecteurs en garde contre ce qu’il avait de séduisant et de décevant. Cela recommence avec une monotonie cruelle : d’où il faut conclure que rien n’est changé dans les esprits ni dans les cœurs : qu’une expérience, qui a été pourtant assez rude, nous a prodigué inutilement ses leçons : enfin que nous serions à la veille de commettre une grande imprudence si le gouvernement venait à manquer de sang-froid et de fermeté. Nous avons dit ce qu’il fallait penser des prétendues menaces qui viendraient du côté de l’Espagne pour notre sécurité au Nord de l’Afrique. Le prétexte qu’on cherche, l’excuse qu’on donne déjà à l’intervention à laquelle on nous convie ne seront, après réflexion, pris au sérieux par personne. Il n’est pas vrai, il est matériellement faux que l’intervention espagnole justifierait la nôtre ; et si l’intervention espagnole, quelque légitime qu’elle soit, provoque des inquiétudes dans certains pays, on peut juger par-là de l’effet qu’y produirait la nôtre. La situation de l’Europe n’est d’ailleurs pas assez calme pour nous permettre de nous jeter dans une aventure. Les inquiétudes que l’on manifeste en ce moment au sujet du Maroc reposent sur si peu de chose qu’il est permis de douter de leur sincérité ; mais il n’en est pas de même de celles que nous avons tous éprouvées depuis quelque temps au sujet des complications qui sont nées en Orient. Est-ce que, de ce côté, l’horizon s’est complètement rasséréné ? Est-ce que le présent y est tout à fait tranquille ? Est-ce que l’avenir y est assuré ? Toutes les raisons qui, il y a quelque temps, nous déconseillaient de nous lancer dans des entreprises coloniales à longue échéance, existent encore. Leur force a plutôt augmenté que diminué. La France se manquerait à elle-même si, sans que rien l’y obligeât, — et rien ne l’y oblige, — elle ne gardait pas la liberté de sa politique, avec tous les moyens de la faire respecter.

On dira peut-être que c’est précisément parce que les autres peuvent