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Quant aux poètes, classiques, romantiques, ou même « décadens, » on composerait une petite anthologie en recueillant les passages où ils ont célébré le souvenir du modèle à jamais favori de l’« opéra-comique » national. Peut-être se rappelle-t-on avec quel sourire familier et charmant l’un des vieillards d’Hermann et Dorothée, ayant entendu chanter par ses enfans des airs de Tamino et de Pamina, demande aux jeunes gens s’il n’existerait pas, dans la pièce, un trio où il pût prendre part. Dans ses lettres et ses conversations avec Eckermann, à chaque instant nous voyons Goethe affirmer et expliquer sa prédilection pour cette Flûte Enchantée dont il admirait jusqu’au libretto, déclarant que l’auteur avait « compris au plus haut degré l’art d’agir par de vifs contrastes, et de produire sur la scène de grands effets dramatiques. » Mais ce que je connaissais déjà de ce goût constant du poète de Faust pour le chef-d’œuvre de Mozart ne m’a pas empêché d’éprouver une agréable surprise lorsque, l’autre jour, avec les oreilles et le cœur encore tout baignés des célestes harmonies de la Flûte Enchantée, j’ai découvert sur le quai une vieille édition des œuvres complètes de Goethe où, dès le premier volume feuilleté, se sont offerts à moi les chers noms de Sarastro, de Papageno, voire du ténébreux et brûlant Monostatos. Le « fragment dramatique » qui ressuscitait ces héros de Mozart était intitulé : la Flûte Enchantée, Seconde partie. Aussi me suis-je empressé d’acquérir le précieux volume, et de lire ensuite une étude très savante de M. Victor Junk, qui précisément avait pour sujet cette curieuse tentative théâtrale, trop oubliée, du grand héros des lettres allemandes.

M. Junk m’a appris, d’abord, les circonstances historiques d’où était résulté le « fragment » de Gœthe. Celui-ci, après avoir fait jouer au théâtre de Weimar l’opéra-comique de Mozart, avait été si frappé du prodigieux succès de cette représentation qu’il avait conçu le projet, dans les premiers mois de 1796, « d’écrire une pièce qui pût rivaliser avec celle-là. » Sans compter que, d’autre part, la ferveur dont il était alors animé pour l’idéal et les procédés « romantiques » de la franc-maçonnerie éveillait très probablement en lui l’ambition de prendre prétexte des allusions « maçonniques » du livret de Schikaneder pour créer, à son tour, un poème où fût plus dignement célébrée l’éminente beauté, artistique et morale, de l’initiation. Toujours est-il qu’une lettre au violoniste et compositeur viennois Paul Wranitzki, datée du 24 janvier 1796, nous le montre suggérant à ce musicien, alors très en vogue, l’idée de composer une suite de l’opéra de Mozart. « Les personnages de cet opéra, écrit-il, sont tous connus du public ;