Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/939

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvères de haut parage. Partout bienvenus, ils osaient même entrer dans le cloître, à l’heure de la récréation, pour divertir les moines. Mais les cours, celle du Roi, celles des seigneurs, les accueillaient et les retenaient au passage. Hyménées et festins, tournois et veillées des armes, retours de chasse et de guerre, il n’y avait pas une circonstance, pas une fête de la vie féodale qui ne fût occasion de recourir à leur talent, à ce qu’on pourrait, d’après un autre de leurs noms (ménestrels, du latin ministri), nommer leur ministère. Ils se faisaient payer soit en argent, soit en nature. Les registres du temps nous donnent encore le taux de leurs honoraires, ou de leurs gages, quand ils ne recevaient pas comme présens ou souvenirs, « pélichons vairs et gris, muls et palefrois, coupes et biaux henas et d’argent et d’or fin. » Gens de gai savoir et de joyeuse humeur, ils l’étaient aussi de libres mœurs et de vie souvent assez mal édifiante. Libertins, buveurs, avides surtout, les maris leur reprochaient de courtiser les femmes et celles-ci les accusaient de détourner les maris, les induisant en dépense et débauche. Quant à l’Église, qui sait être libérale et rigoureuse à la fois, il semble bien qu’elle se borna toujours, sans condamner leur profession, à réprouver leurs excès. De ceux-ci le souvenir aujourd’hui s’atténue, et volontiers, avec M. Pierre Aubry, nous ne trouvons plus à la jonglerie qu’un charme de poésie et même un certain air de grandeur. « C’est que les jongleurs ne se sont point contentés de chanter les poésies, ou légères ou courtoises, des trouvères lyriques : ils ont été les propagateurs des chansons de geste… Ils ont chanté toutes les gloires du pays… les hauts faits de Pépin, de Garin de Monglane… Ils ont popularisé la figure sereine de l’empereur Charlemagne. Ils ont, avec des poèmes comme le Floovent, le Fierabras, le Pèlerinage de Charlemagne, le Roland, le Roi Louis, le Huon Chapet, créé ce que la critique a pu depuis nommer l’épopée nationale. »

Ainsi, messagers ou hérauts, sérieux et sourians tour à tour, de l’histoire, de la poésie et de la musique, les jongleurs ont été, pour les troubadours et les trouvères, de bons « ménestrels, » ou ministres. Et, comme l’écrit à peu près M. Pierre Aubry, si l’on peut dire qu’en France tout finit par des chansons, c’est aussi par des chansons qu’en France, en ce temps-là, quelque chose, et quelque chose de très français, a commencé.

Des chansons, rien de plus : l’œuvre des trouvères et des troubadours n’a pas été davantage. Ne faisons pas, — l’historien le premier nous en donne le conseil avec l’exemple, — ne faisons pas comme