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premier mai, on allait au bois, on s’habillait de feuillages, on rapportait des fleurs à brassées, on ornait de fleurs les portes des maisons ; c’était le moment où, sur la prairie verdoyante, les jeunes filles et les jeunes femmes menaient des rondes pour ainsi dire rituelles[1]. » Ainsi notre musique française est née dans la joie, ou de la joie. Elle est née aussi de la femme, de sa grâce et de sa gaîté, de sa danse et de son sourire. La musique est femme, disait Wagner. Le mot est surtout vrai de la nôtre, et dans les chansons de nos troubadours et de nos trouvères, la femme, ou la dame, a toujours eu le premier rang.

Elles forment, ces chansons, un répertoire immense où, nous le disions plus haut, toute la vie sociale de l’époque se trouve comprise et comme enveloppée. Il y en a d’extérieures ou d’objectives, à personnages divers ; d’autres abondent aussi, plus strictement lyriques et personnelles, où se chante lui-même, quelquefois lui seul, le poète-musicien. Ce sont des récits, des fragmens de vieilles épopées que les « chansons d’histoire. » On les nomme encore « chansons de toile, » parce que les femmes, châtelaines et servantes, aimaient de les chanter en filant. Elles avaient les femmes pour interprètes ; elles les avaient pour héroïnes aussi. Héroïnes malheureuses autant qu’aimables : filles, amantes, épouses, Eremborz ou Doette, Aiglantine, Yzabel, Amelot ou Yolanz, toutes sont belles également, toutes également infortunées. A vrai dire, il arrive souvent qu’elles se consolent et se vengent. Les « chansons dramatiques » mettent généralement en scène le trio, qui deviendra classique chez nous, du mari, de la femme et de l’autre. L’autre y est, — déjà, — le personnage sympathique, tandis que le mari n’y paraît jamais que sous la figure et le nom, professionnel en quelque sorte, du « vilain. » Pas plus qu’à la femme du prince ou du bourgeois, cette poésie lyrique n’est sévère à l’épouse de Dieu. Elle se moque du mariage, même mystique, et sur le thème, alors favori, mais traité lestement, de la « nonnette » infidèle, rien ne ressemble moins que la chanson d’un gai troubadour, à la Jeune religieuse du romantique Schubert.

« Vous chantiez, j’en suis fort aise, » disait-on hier encore, ou peu s’en faut, aux gens du moyen âge, et l’on croyait avoir tout dit. On oubliait trop qu’ils dansaient. Ils dansaient tantôt « aux instrumens, » tantôt « aux voix, » ou « aux chansons. » Rappelez-vous le délicieux tableau de chorégraphie féminine que Dante, en trois vers, a dessiné : « Je crus voir des femmes qui, sans rompre la danse,

  1. G. Paris, Les Origines de la poésie lyrique au moyen âge (cité par M. Aubry).