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certain nombre de galanteries bruyantes ou même de friponneries, se jeta dans la dévotion et « hanta les églises. » Un jour, en celle des Quinze-Vingts, il rencontre une Mme Hansse, veuve de l’apothicaire de la Reine. « Il l’accoste, — raconte Tallemant, — et lui parle de dévotion avec tant d’emportement qu’il charme cette dévote. » Elle le loge chez elle : il s’éprend de sa fille, Mme Patrocle, femme de chambre de la Reine, de qui son mari, aussi, est domestique. Et, « dans l’esprit de ce Patrocle, Charpy se met si bien, s’impatronise tellement de lui comme de sa femme qu’il chasse de chez eux tout le monde. » Mme Hansse ouvrit enfin les yeux, et avertit son gendre. « Il répondit que c’étaient railleries ; il prend Charpy pour le meilleur ami qu’il ait. » On avouera qu’il est difficile de ne pas voir, avec les savans éditeurs de Tallemant et de Molière, non seulement dans cette anecdote toute l’intrigue et tous les personnages[1]de la pièce de Molière, mais encore dans ce Charpy le personnage véritable qui a dû « fournir le plus de traits » au portrait de l’imposteur galant. Or Charpy fut-il membre de la Compagnie du Saint-Sacrement ? Nous l’ignorons ; ce fripon, qui publiait, nous dit-on, en 1659[2], un livre édifiant intitulé l’Intérieur chrétien[3], a bien pu s’insinuer par fraude dans la troupe de nos honnêtes gens. Ce qu’il y a, en tout cas, de probable, c’est que sa dupe en faisait partie. Une des lettres, étudiées ici même[4], de la Compagnie du Saint-Sacrement de Paris à sa succursale de Marseille, nous montre les « messieurs » de Paris écrivant tout exprès à leurs confrères provinciaux pour leur annoncer sans retard la regrettable mort d’un « M. Patrocle, gentilhomme de grande vertu qui a laissé une bonne odeur de vie par ses bons exemples. » La date (1642) empêche que ce Patrocle ait été autre chose que le père ou le frère aîné du trop crédule mari de la réelle Angélique ; mais dans la Compagnie du Saint-Sacrement, les dynasties ne sont pas rares : plus d’une fois nous voyons les fils ou les cadets s’y enrôler après leurs parens ou leurs aînés. Si donc Tartufe ne fut pas membre de la Compagnie, Orgon risque

  1. D’autant plus que la « petite Mme Patrocle » de Tallemant s’appelait, elle aussi, Angélique : Angélique Hansse, mariée le 3 août 1643 à François Patrocle.
  2. Deux ans après la date probable où Tallemant racontait cette histoire.
  3. Notons que le confrère de Bernières-Louvigny (voyez plus haut) est l’auteur du Chrétien intérieur.
  4. Voyez la Revue du 15 août 1908. — C’est la lettre du 31 octobre 1642. Voyez la Compagnie secrète du Saint-Sacrement . Champion, 1908, p. 29.