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comédiens ; Conti de qui, assurément, la personne contrefaite n’avait nul rapport avec le fier et élégant cavalier dont le charme affole les Madelons comme les Elvires, mais dont le passé moral n’avait rien à envier à celui de Don Juan. Perdu de dettes et de débauches comme le héros de Molière, libertin accompli et d’esprit et de mœurs comme lui, et, comme lui encore, spirituel en son « libertinage ; » séducteur de femmes et de filles dont les trahisons et les « férocités de cœur » ne se comptaient plus ; dévot enfin, lui aussi, au dernier acte, il avait, jusque dans ce dénouement, ce nouveau point de ressemblance avec Don Juan que la sincérité de sa conversion avait, au moins au début, excité bien des doutes ; les médisans pouvaient se demander si ce converti par maladie et par peur avait d’abord pris la précaution de « croire en Dieu[1]. » Mais encore que l’extrême dissemblance physique entre Don Juan et Conti pût être au poète une espèce de garantie contre des réclamations qui auraient encouru le ridicule d’une fatuité trop injustifiée ; — encore que Conti fût alors assez mal en cour et Molière au contraire très fort patronné par Louis XIV, — on hésite tout de même à admettre, jusqu’à plus ample informé, que Molière ait osé s’en prendre à une Altesse Sérénissime, au cousin du Roi.

Pour le Tartufe, au contraire, rien de plus vraisemblable que des emprunts faits par lui au dossier que sa rancune avait pu grossir sur les membres de la Compagnie du Saint-Sacrement. Et ce qui nous autorise à le penser, ce n’est point l’identité désœuvrés pies qu’il prête à son Tartufe, et de celles que les messieurs de la Société des Jeudis pratiquaient (aumônes aux pauvres, visites aux prisonniers, poursuite des impudicités mondaines) : quels gestes Molière pouvait-il donner à son hypocrite de religion, sinon les gestes usuels et courans de la dévotion et de la charité ? Ce n’est pas davantage la ressemblance de l’intrusion et de la tyrannie exercée par Tartufe chez Orgon, de son goût avoué pour toutes les intrigues souterraines, avec les méthodes d’action clandestine que la Compagnie du Saint-Sacrement s’imposait, et avec ces ingérences tyranniques dans la vie privée dont les parlemens, — nous l’avons vu tout à l’heure, — s’étaient émus. Ce n’est pas même l’ardeur apportée, nous venons de le voir, par

  1. Mlle de Montpensier, Mémoires, t. III, p. 139 ; Sainte-Beuve, Port-Royal ; Abel Lefranc, Revue des Cours et Conférences, 1906 et 1907 ; Etienne Dejean, Nicolas Pavillon, p. 116 et passim.