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quelques-unes de ces attaques ne visaient que des désordres récens, les autres s’attaquaient à de vieilles habitudes et allaient bouleverser les réjouissances traditionnelles des grandes villes. On sait quelle institution intangible c’était à Paris que la foire Saint-Germain, et quant à interdire à Marseille les représentations dramatiques pendant le jubilé, — dont la célébration est longue, et peut recommencer, tantôt dans une paroisse, tantôt dans l’autre, — autant valait fermer tout un an le théâtre. Les gens qui tenaient au divertissement, qu’ils fussent peuple, bourgeois ou seigneurs, devaient sentir à tout instant qu’il y avait, quelque part, travaillant, de concert et avec suite, à détruire tous les amusemens profanes, des apôtres puritains, autrement déterminés que les lieutenans de police ou les échevins à faire appliquer les ordonnances de Sa Majesté ou les arrêts des Parlemens, autrement acharnés contre les folies du siècle que les évêques et les curés, et ne se résignant pas, comme eux, à d’oratoires et anodines remontrances.

En même temps, certaines des croisades de la Compagnie, encore que justes, nécessaires et honorables, avaient forcément, aux yeux des gens de la « société polie, » un air d’inélégance. Il était sans doute légitime et moralement beau de poursuivre à toute force, comme le faisaient les confrères, ces duels qui, comme le dit un écrit du temps[1], « affaiblissaient tous les jours la France par des saignées mortelles. » Mais fallait-il associer, comme le fit la Compagnie, à ce sage et patriotique effort, une détestation non moins âpre des « juremens et blasphèmes » si habituels à la noblesse ? Cette manie de jurer, « qui passait pour un agrément du discours dans la bouche d’une jeunesse étourdie, » valait-elle, toute grossière qu’elle fût, d’être impliquée dans la même poursuite que l’homicide par point d’honneur ? Puis, quant au duel même, il faut bien reconnaître que de se refuser systématiquement à venger par le sang les insultes, comme s’étaient engagés à le faire, dès 1646-1647, sous les auspices de M. Olier, les Renty, les Liancourt, les d’Albon, les Saint-Mesmes, les Brancas, les Fénelon, « cela ne sentait guère, — comme on disait alors, — son gentilhomme. » En présence de ces nouveaux scrupules, le prince de Condé hochait la tête. A plus forte raison devait-il bondir quand les « dévots » s’en prenaient moins

  1. Observations de Rochemont sur le Don Juan de Molière (Molière, éd. des Grands Écrivains, t. IV, p. 231).