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Mais il fallait « plus que jamais marcher à pas comptés. » On avait peur de « donner la moindre peine au gouvernement, » inquiet de ce qu’il savait déjà sur la Compagnie et irrité de ce qu’il en soupçonnait seulement. Anne d’Autriche qui, depuis longtemps sans doute, non seulement « connaissait » les plus considérables des confrères, mais encore entretenait avec eux des rapports de charité[1], avait été obligée d’avouer à Mazarin le secret de leur existence. Et celui-ci voyait en cette affaire beaucoup moins les édifiantes « bonnes œuvres » qu’une « correspondance » organisée « dans tout le Royaume, » et bien suspecte.

Toutefois, étant donné la mobilité des vues du Cardinal et son goût pour s’allier avec ses ennemis quand il pouvait les espérer utiles, rien encore n’était perdu, lorsque parurent, dans le courant de cette année 1660, à Caen, deux libelles qui portaient brusquement la question devant le public : un Mémoire pour faire connaistre l’esprit et la conduite de la Compagnie establie en la ville de Caen, appellée l’Hermitage, et un Extrait d’une lettre du 25 de mai 1660, contenant la relation des extravagances que quelques-uns de l’Hermitage ont faites à Argentan et à Séez, avec la sentence du lieutenant criminel du Bailliage et siège présidial de Caen portant condamnation et deffences ausdits particuliers de s’assembler à l’avenir [2].

A en croire ces factums, la Basse Normandie était depuis quelques mois fort scandalisée. Un jour de février, cinq jeunes hommes, élevés à la maison dite de l’Ermitage, « desseichés par les jeûnes et les veilles, » après avoir communié à Saint-Ouen » s’étaient ensuite « répandus en la ville, tête nue et le pourpoint déboutonné, » proclamant que les curés de Caen, sauf deux, étaient fauteurs du Jansénisme, et ameutant contre eux la populace. Amenés devant les magistrats, ils avaient répondu « qu’ils étaient prêts de souffrir la mort pour soutenir la vérité qu’ils annonçaient. » Un peu plus tard, vers la Pentecôte,

  1. G. de Renty, l’un des membres les plus éminens de la Compagnie, « était l’intermédiaire des libéralités de la reine mère pour la levée des gens de guerre destinés par Sa Majesté à s’opposer aux incursions des Hiroquois au Canada. » Voyez une pièce de 1644, analysée par le P. Chérot (Études, 5 mai 1900).
  2. Ces factums sont faciles à trouver dans les bibliothèques. Ils sont aussi réimprimés partiellement dans un vieux livre de 1754 que me signale l’obligeante érudition de M. Gazier : Modèle de foi et de patience dans toutes les traverses de la vie et dans les grandes persécutions, ou Vie de la mère Marie des Anges [Suireau], p. 585-618.