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eux seuls 150 000 voix de plus que tous les autres partis coalisés, et cela, en dépit d’une géographie électorale qui, dans tout l’Empire, avantage sensiblement les circonscriptions rurales et conservatrices aux dépens des circonscriptions urbaines et socialistes.

Sans doute ce n’était pas là un succès qui pût avoir d’immédiates conséquences. Et ceux que l’Empereur, quelques mois auparavant, dénonçait comme des « traîtres indignes de porter le nom allemand » ne devenaient par ce succès les maîtres ni du gouvernement, ni même du Reichstag. Aussi bien, ce n’était pas l’idée collectiviste qui triomphait avec eux. Car si les libéraux s’étaient abstenus même de formuler un programme, si le Centre avait réduit le sien au minimum, les socialistes, eux non plus, n’avaient pas déployé leur drapeau, et leurs revendications, — critique des tarifs protecteurs, réduction des contributions indirectes, impôt sur le revenu, diminution de la journée de travail, — étaient plus radicales que marxistes. Il n’en restait pas moins qu’une leçon se dégageait de l’énormité numérique de leur victoire. L’attitude générale du gouvernement, les sacrifices consentis aux grands propriétaires fonciers, le renchérissement de la vie qui devait en résulter, l’esprit de caste et d’autocratie étaient manifestement impopulaires. L’Allemagne, si disciplinée quand on pose devant elle les questions nationales, avait profilé d’un scrutin où ces questions ne se posaient pas pour marquer de la lassitude et de l’humeur. En méditant le sens des élections, le chancelier ne manqua point de noter cette lacune et se promit de la combler au cours de la législature suivante.


II

Si l’on considère en effet la période qui s’étend des élections de 1903 à la dissolution de 1906, on constate que les questions extérieures y priment les questions intérieures et que c’est sur le champ international que s’exerce pendant ces trois années le plus fort de l’action gouvernementale. En 1904, c’est le voyage de l’Empereur en Espagne et en Italie, les discours inquiets et belliqueux de Darmstadt et de Carlsruhe, réponse au traité franco-anglais. En 1905, c’est le voyage de Tanger, la campagne de presse et de diplomatie contre M. Delcassé, les négociations