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il n’y a rien à faire. Catholiques et protestans échouent, à moins que l’on ne considère comme des recrues sérieuses ces prétendus convertis qui foisonnent en Palestine et qui vivent de conversions successives. En principe, il est entendu chez tous les missionnaires européens, quels qu’ils soient, que l’on ne convertit pas. Alors que font-ils ? A quoi servent-ils ? Et ainsi nous sommes amenés à considérer le rôle des religions européennes dans la mêlée des religions orientales.

Il en est pourtant, parmi ces missionnaires, qui s’obstinent à convertir. Lorsque j’étais à Nazareth, je vis arriver, à la Casa nuova, des Franciscains, une grosse dame anglaise, flanquée d’une personne osseuse et chlorotique qui avait l’air d’être sa demoiselle de compagnie. Le soir, je rejoignis les deux voyageuses, dans la salle à manger du couvent. La grosse dame avait un voile sur la tête et une énorme croix d’argent sur la poitrine comme une chanoinesse. Sa figure ronde était épanouie. Le teint frais, reposé, brillant, annonçait une conscience pure et une santé robuste. Avec des gestes méticuleux et très anglais, elle découpait sur son assiette le dur beefsteak des Franciscains et elle portait les morceaux à sa bouche avec un joyeux appétit, tempéré d’une nuance de componction. Elle était gaie, expansive, facilement bavarde, sans rien de la morgue insupportable de certains de ses compatriotes. Cette grosse dame me plaisait, m’amusait, me semblait doucement comique. Je ne pus m’empêcher de le dire, en sortant, au supérieur qui avait assisté à notre dîner :

— Vous avez tort, me dit-il, de vous moquer d’elle. Cette Anglaise est une excellente femme !… Oui ! véritablement très bonne ! Elle est protestante, ce qui ne l’empêche pas de descendre chez nous, chaque fois qu’elle est en tournée dans le pays. Elle nous aime et nous le lui rendons. Je crois qu’elle est affiliée à une Société de Londres, qui se donne beaucoup de mal pour convertir les Juifs. Mais elle agit de sa propre initiative et avec ses seules ressources. Elle est riche, elle possède une propriété aux environs de Caïffa. Eh bien ! telle que vous la voyez, toute corpulente qu’elle est, son activité est infatigable. La foi l’anime. Elle est sans cesse par monts et par vaux, en quête de malheureux Juifs à secourir. Elle s’entête à vouloir en faire des Chrétiens. La tâche ingrate et désespérante que voilà !… Vous pensez bien qu’elle n’en convertit aucun ! Néanmoins, elle ne se