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Beyrouth, dans la chapelle de leur collège. Le Père Ray m’avait dit :

— Venez-y un de ces dimanches ! Vous verrez : le spectacle seul en vaut la peine !

J’y allai, et j’eus la constance d’y rester, de quatre heures et demie du matin à midi. Pendant tout ce temps-là, la chapelle ne désemplit pas. Mais le mot de chapelle est inexact : c’est une véritable basilique, où je vis défiler, durant mes huit heures d’observation, des milliers de fidèles ; où j’assistai à d’innombrables messes, — latines, grecques, syriennes, maronites, — chacune ayant leurs publics et leurs rites spéciaux. Dès avant l’aube, des groupes circulent, avec des lanternes, dans les rues fangeuses et noires qui avoisinent la maison des Jésuites. Le flot grossit d’heure en heure, devient une foule, aux approches de la grand’messe. A l’intérieur, dans la grande nef et dans les nefs latérales, les offices se succèdent ; les mélopées arabes, aigrelettes et chevrotantes comme une musique de noubas, alternent avec le plain-chant catholique et les sons graves de l’orgue. Dans la chapelle des Grecs-Unis, on communie sous les deux espèces : le prêtre coupe le pain sur la patène et le distribue en petits morceaux aux fidèles agenouillés. Dans cette autre, on chante en arménien ; plus loin, on chante en grec. Les autels orientaux font écho au maître-autel romain. Celui-ci, dressé au milieu du chœur, apparaît comme le symbole de l’Église-Mère entourée de ses enfans barbares.

Toutes les races du pays, toutes les catégories sociales se mêlent sous les voûtes hospitalières de la Basilique latine. Auprès de dames élégantes, en grande toilette, en chapeaux européens, je reconnais des femmes de condition plus humble, ouvrières ou petites bourgeoises, coiffées d’une mantille de tulle semblable à celle des Génoises et des Barcelonaises. D’autres sont tout enveloppées de satin noir, comme les Musulmanes, le visage à peine visible à travers la fente de l’étoffe strictement fermée. Celles du peuple portent sur la tête un voile blanc de cotonnade grossière. Quelques profils émergent entre les plis des voiles, tels qu’on s’imagine ceux des vierges et des martyres chrétiennes des temps apostoliques : pâles, les joues creusées, les cheveux épars, en nattes, sur le dos, les cils très bruns battant sur de grands yeux sombres noyés de langueur, des yeux dont le blanc lui-même est presque noir. Les hommes qui sont là offrent