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pas oublier que sa mission est, avant tout, spirituelle et que son royaume n’est pas de ce monde. L’essentiel est qu’il souscrive de bonne grâce aux concessions raisonnables que le « siècle » réclame de lui. Un compromis de ce genre s’impose aujourd’hui à l’Islam, sous peine d’isolement mortel. Reconnaissons-le : il n’y a pas de raison fondamentale pour qu’il continue à s’y refuser. Mais les difficultés qu’il y rencontrera sont considérables.

D’abord, c’est une religion tout en dehors : la vie intérieure, qui est le domaine propre du christianisme, n’y a, pour ainsi dire, aucune place. Expulsé de la vie pratique, l’Islam ne sait plus où se réfugier. S’il cesse d’enseigner, de juger, de régler l’hygiène et les mœurs, voire le costume[1], de prescrire des rites spéciaux et publics, il cesse, en quelque sorte, d’exister. Son fonds mystique est très pauvre : son fonds métaphysique ne l’est pas moins. Etant ainsi très peu sentimental et très peu intellectuel, il est clair qu’il ne peut éprouver qu’une vive répugnance pour nos littératures et nos philosophies.

On objecte à cela que, précisément parce qu’il n’est point métaphysique, il se rapproche davantage de l’esprit positif des sciences modernes et que, dans tous les cas, il est beaucoup plus simple que le christianisme et qu’il exige de ses adeptes un effort de foi moins paradoxal. Peut-être bien, si l’indigence et la platitude sont synonymes d’esprit positif. Cependant, on ne voit pas que la cosmogonie biblique propose des explications aussi contraires, non pas même à la science actuelle, mais au simple bon sens, que la cosmogonie coranique. Aujourd’hui encore, les kodjas apprennent à leurs élèves que, pour maintenir la terre dans l’espace, Dieu créa un ange soutenu par un grand rocher qui, à son tour, repose sur le dos et les cornes du Taureau du monde. D’après le Coran lui-même, les étoiles filantes seraient des traits enflammés lancés par les anges contre les esprits infernaux. Ainsi du reste !… Enfantine dans ses théories de l’univers, la religion de Mahomet a-t-elle du moins, comme on le prétend, le mérite d’être plus simple que ses concurrentes ? C’est une simplicité bien relative. Réduire l’Islam au déisme n’est qu’un procédé commode, pour couper court aux discussions. Par un tour d’escamotage analogue, il serait aisé de

  1. C’est, me dit-on, pour un motif religieux que le port de nos chapeaux est interdit aux Musulmans. Le bord de nos coiffures empêcherait le front du Croyant de toucher la terre, lorsqu’il se prosterne pour la prière rituelle.