Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/822

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrit au « tyrannique enfant gâté » sont parmi les plus touchantes qu’une amitié de femme a inspirées : « Vous me renverrez à mes romans pour vous délivrer de mes lettres. Hier, je suis restée à pleurer comme un enfant. Puis je me suis dit que c’était une folie. Quand on est jeune, on aime la douleur ; quand on est vieille, on en a peur. On sent qu’on n’a plus la force de la supporter. » — « Savez-vous ce que c’est que l’amitié ? Ce que c’est que de passer une longue matinée, sans voir arriver l’ami avec lequel on a l’habitude d’épancher son cœur, auquel on raconte et de qui on écoute toutes les misères qui remplissent la vie ? J’ai fait arrêter toutes mes pendules pour ne plus entendre sonner les heures où vous ne viendrez plus. » — « Quoi ! cher frère, notre amitié serait-elle comme celle dont M. de Laval disait qu’ils n’avaient pas de quoi aller jusqu’au bout ? Je regretterais bien alors de n’être pas morte dans une de ces grandes maladies qui m’ont mise au bord du tombeau. J’aurais du moins emporté l’illusion qui a fait le charme de ma jeunesse. » — « Eh ! mon Dieu ! tout ce qui vous aime n’est-il pas quelque chose pour moi ? Mais je ne veux pas qu’on prenne toute ma place, parce que j’ai la certitude que personne ne la mérite. » — « Relisez les lettres de la pauvre Lucile qui vous faisaient pleurer avec moi ! Dans ce temps-là vous déchiriez son cœur, comme vous déchirez le mien, sans le faire exprès, ou plutôt ne le sentant pas. »

M. Bardoux a publié un certain nombre des lettres que Chateaubriand ambassadeur à Londres et ministre plénipotentiaire à Vérone adressait à « sa chère et tendre amie. » En voici d’autres qui, datées de 1821, 1822 et 1823, achèveront de nous renseigner sur l’histoire de leur amitié.


Samedi soir, 8 heures, 14 juillet [1821]. — « Les deux magots [Villèle et Corbière] ont eu hier une conversation avec le duc [de Richelieu]. Ils devaient donner leur démission. Il n’y a rien de conclu. Pendant ce temps-là, M. Pasquier m’avait écrit qu’il voulait me voir ce matin. J’y suis allé. Il m’a déclaré qu’il fallait partir pour Berlin. J’ai répondu que, mes amis sortant, je sortirais avec eux. Il m’a répété qu’il fallait absolument un ministre à Berlin. J’ai dit qu’alors, il était bien le maître d’envoyer qui il voudrait à ma place, puisqu’il était si pressé. Le tout en est resté là. Me voilà démis provisoirement.