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qui avait souhaité prendre sa retraite, il n’était pas au pouvoir un inconnu, et ses débuts l’avaient désigné déjà pour le poste auquel l’Empereur l’appelait.

Secrétaire d’État, d’abord intérimaire, puis titulaire à l’Office impérial des Affaires étrangères depuis 1897, il avait conservé à la Wilhelmstrasse le goût et l’habitude de réussir qui avaient caractérisé sa carrière. Je me souviens de sa première apparition au Reichstag en décembre 1897. Sur les bancs des députés comme dans la loge diplomatique passait ce frémissement de curiosité qui est une promesse de succès. Le nouveau ministre ne déçut point ses auditeurs et les conquit dès l’abord. L’aisance, la clarté, la bonne humeur recommandaient son propos. Il parlait à l’assemblée, comme il eût fait dans un salon, avec une simplicité souriante, une méthode naturelle, une limpidité pénétrante. Depuis ce temps, son éloquence s’est étoffée : elle n’a point changé de nature. Analytique et latine plus qu’allemande et synthétique, elle évite les sommets et coule de source. M. de Bülow est un orateur reposant et détendant. Il use plus volontiers de l’ironie que de l’indignation. Il aime à discourir les mains dans ses poches, avec un minimum de gestes, sans rien sacrifier au « beau pathos, » qu’il louait un jour avec un demi-sourire chez l’un de ses contradicteurs. Il se défie du genre oratoire et procède par insinuation.

La carrière de M. de Bülow avait été normale. Fils d’un fonctionnaire de valeur, dont Bismarck, au Parlement de Francfort en 1853, disait : « C’est l’homme le plus intelligent de la compagnie, » — se réservant d’en faire vingt ans après un ministre des Affaires étrangères, — il prit part à la guerre de 1870 comme officier de cavalerie et devint en 1874 attaché d’ambassade. Il traversa avec un avancement rapide, mais non point excessif, Saint-Pétersbourg, Vienne, Athènes, Paris, Bucarest et Rome. Sa vie fut voyageuse comme l’avait été sa jeunesse, partagée entre Francfort, la campagne mecklembourgeoise, les Universités de Halle, de Leipzig, de Berlin et de Lausanne. Une de ses grand’mères était de sang français et il épousa une Italienne. En lui, par conséquent, rien de terrien, comme chez Bismarck, mais une sorte de cosmopolitisme intellectuel, une éducation empirique, étrangère à tout dogmatisme, faite surtout d’observation humaine, de psychologie facile et de généralisation rapide. Un don remarquable d’expression, une souplesse poussée jusqu’à