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pharaon et autres jeux de hasard. Elle y risquait des sommes considérables, perdant quelquefois cinq cents louis dans le cours d’une soirée, et les parties se prolongeaient jusqu’à une heure avancée de la nuit. « La cour de France, écrira Joseph II, est devenue une manière de tripot. » Lors d’un voyage à Fontainebleau, où Louis XVI, par prudence, n’avait autorisé « qu’une seule partie de pharaon, » la « séance » dura trente-six heures, à peu près sans interruption. Sur une observation du Roi, Marie-Antoinette répliqua qu’en permettant une seule partie, il avait négligé d’en fixer la durée : « Allez, répondit-il en riant, vous ne valez rien, tant que vous êtes ! » Les dettes, à ce régime, montèrent à un chiffre important. Aux derniers jours de l’année 1776, lorsque la Reine fit établir ses comptes, le déficit de sa cassette était de 487 000 francs, que Louis XVI, débonnaire, paya sur sa bourse privée.

Si fâcheuses que fussent ces pratiques, il faut déplorer davantage, au point de vue de l’opinion, les inconvéniens de tout genre produits par la passion effrénée du plaisir. J’entends par-là la multiplicité des fêtes, bals, redoutes et soupers, promenades de nuit, sous le masque et le domino, par les terrasses, sous les charmilles du jardin de Versailles, ou encore soirées prolongées chez la princesse de Guéménée, femme de réputation douteuse, qui recevait un monde mêlé, où une reine de vingt ans n’était guère à sa place. Tant de divertissemens nocturnes ne nuisaient pas à ceux de la journée ; la Reine y apportait un laisser-aller familier, un mépris des anciens usages, dont se scandalisaient les vieux habitués de la Cour. Ecoutons gémir l’un d’entre eux : « Au lieu[1]de ces voitures lourdes et superbes, dont la feue Reine se servait et dans lesquelles se plaçaient avec elle toutes ses dames, Marie-Antoinette employait des chars élégans, pour elle seule, et Mme de Polignac avec elle. Les dames d’honneur, d’atours ou du palais n’étaient même pas averties de ces courses. Point d’officiers ni de gardes d’escorte. » On allait en cet équipage tantôt à Trianon, tantôt dans quelque pavillon dépendant du domaine royal, et l’on s’y ébattait, innocemment sans doute, mais dans une liberté qui prêtait à la calomnie. Le Comte d’Artois, comme bien on pense, était l’âme de toutes les parties, l’inspirateur de toutes les équipées. Les

  1. Mémoires du comte de Saint-Priest, passim.