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« assez découragé d’avoir toujours à arracher par force des décisions sur les moindres objets, » tandis qu’il dépeint le jeune Roi « passant ses matinées, dans son cabinet de travail, à regarder, au moyen de son télescope, les gens qui arrivent à Versailles, » ou bien encore « à balayer lui-même, à clouer ou à déclouer, » en un mot, gaspillant les heures qu’il occupait naguère à de meilleures besognes.

Cette défaillance pourtant ne fut que passagère. On n’en peut dire autant de l’opposition qui s’élevait contre le contrôleur général, de la coalition formée pour préparer sa chute. « M. Turgot, écrit l’ambassadeur de Suède[1], est en butte à la ligue la plus formidable, composée de tous les grands du royaume, de tous les parlemens, de toute la finance, de toutes les femmes de la Cour et de tous les dévots, » c’est-à-dire de tous ceux dont les édits récens lésaient les intérêts, blessaient les préjugés ou inquiétaient l’orgueil. Cette « ligue » allait trouver de puissans et ardens alliés jusque dans les entours du trône. Il ne sera pas superflu, avant de pénétrer dans ce dédale d’intrigues, de noter les changemens survenus à Versailles au cours de la dernière année.


La Reine, après les incidens du Sacre, avait paru d’abord renoncer à la politique. Elle ne l’avait jamais aimée, et il avait fallu, pour la fourvoyer dans la lutte, les excitations de Besenval, les menées du parti Choiseul. Les échecs l’avaient refroidie ; Choiseul, d’ailleurs, semblait s’être retiré sous sa tente ; et Marie-Antoinette, livrée à ses goûts personnels, n’intervenait plus guère dans les choses de l’État. Sans doute cette abstention eût-elle été durable, si certains personnages, entrés depuis peu dans sa vie, lui eussent permis de s’endormir dans une molle insouciance. « Elle cherchait à faire des heureux plutôt que des ministres, » a-t-on dit justement[2], et sa rentrée dans une carrière où elle n’avait à recueillir que tracas et déboires fut la plus grande preuve d’affection qu’elle pût donner à ses nouveaux amis.

La Reine avait traversé, au courant de l’été de 1775, ce que l’on peut appeler une crise sentimentale. Fort isolée, malgré un constant entourage, dans une cour dont la froide et pompeuse

  1. Lettre du comte de Creutz à Gustave III, du 14 mars 1776.
  2. Marie-Antoinette, par Goncourt.