Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/776

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

œuvre de législateur. Ainsi s’explique la rédaction presque simultanée des six édits qu’il déposait, le 6 janvier 1776, sur la table du Roi et dont il réclamait l’examen immédiat. On lui a reproché cette précipitation, et Malesherbes lui-même le reprenait affectueusement sur l’excès de son zèle : « Pourquoi, lui disait-il[1], vouloir tant de choses à la fois ? Vous êtes trop pressé. Vous vous imaginez avoir l’amour du bien public ; point du tout, vous en avez la rage ! » D’autres amis, en sens inverse, notamment Condorcet, l’exhortaient à agir et lui poussaient l’épée aux reins, s’indignant de bonne foi qu’il fût depuis seize mois ministre et qu’il n’eût pas encore tout détruit et tout rénové. Il fallait résister à ces courans contraires. « Sur beaucoup de points, vous prêchez un converti, répondait-il à Condorcet. Sur d’autres, vous n’êtes pas à portée de juger ce que les circonstances rendent possible. Surtout, vous êtes trop impatient. » Aux prudens conseils de Malesherbes il opposait des raisons d’un autre ordre : « Est-ce qu’avec le mal de famille qui circule dans mes veines, il m’est permis d’avoir de la patience ? Ce mal s’aigrit tous les jours par le travail. En mettant toutes mes heures à profit, j’aurai du moins fait ce que j’aurai pu, et ce seront toujours autant de vexations dont j’aurai délivré le peuple[2]. »

Des six édits soumis ensemble à l’approbation de Louis XVI, quatre visaient des objets d’importance secondaire : police des grains, règlement sur les halles, quais et ports de Paris, caisse de Poissy, droits sur les suifs ; mais deux résolvaient des questions d’une exceptionnelle gravité : l’édit relatif aux corvées et celui relatif aux maîtrises et jurandes. Chacune de ces deux grandes réformes mérite quelques éclaircissemens.


La corvée remontait au régime féodal. On désignait ainsi les journées de travail forcé que les vassaux devaient à leur seigneur pour la culture de ses domaines et pour l’entretien des chemins. C’est comme premiers seigneurs suzerains que les rois peu à peu adoptèrent ce moyen commode, d’abord pour la confection des grandes routes, puis pour certains travaux d’une utilité générale. Restreinte à ces limites, la corvée n’eût été somme toute, qu’un impôt raisonnable, analogue à ce

  1. Journal de l’abbé de Véri, passim.
  2. Ibidem.