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son ardeur habituelle et obséda de sa faconde Maurepas d’abord, puis Marie-Antoinette ; mais, de son propre aveu, il n’eut qu’un médiocre succès. Maurepas ne répondait que « par des plaisanteries, » et Marie-Antoinette l’écoutait « d’une oreille distraite. » Besenval n’en revenait pas. Sa surprise redoubla, comme celle de toute la Cour, quand lui fut révélé le nom du nouveau secrétaire d’État.

Au lendemain de la mort du maréchal du Muy, Turgot, rapporte l’abbé de Véri[1], s’était rendu chez le comte de Maurepas : « J’ai une pensée, lui dit-il, que vous trouverez peut-être ridicule, mais comme, à l’examen, elle me paraît bonne, je ne veux pas avoir à me reprocher mon silence. J’ai pensé à M. de Saint-Germain. — Eh bien ! répondit Maurepas, si vos pensées sont ridicules, les miennes le sont aussi, car je vais partir pour Fontainebleau dans le but de le proposer au Roi. » La carrière agitée du comte de Saint-Germain est trop connue pour qu’il ne suffise pas d’en rappeler sommairement les péripéties principales. D’abord novice chez les Jésuites, puis officier de dragons, tour à tour au service d’Autriche et de Bavière, appelé en France par les soins de Maurice de Saxe, qui s’entendait en hommes, il s’élevait rapidement au grade de lieutenant général, et sa brillante conduite dans les premières campagnes de la guerre de Sept Ans le désignait, assurait-on, pour le bâton de maréchal de France, quand une querelle avec le maréchal de Broglie arrêtait net ce bel essor. Intraitable dans sa rancune, il brisait alors son épée, rendait son cordon rouge, partait pour le Danemark, où, six années durant, il s’employait avec succès à réorganiser l’armée. Une nouvelle brouille l’amenait à une nouvelle retraite. Il renonçait à la carrière des armes, et se fixait à Lauterbach, en Alsace, dans une terre de famille qu’il n’avait pas revue depuis le temps de son enfance. Là, le soldat se faisait laboureur ; il cultivait ses champs, vivant chichement, obscurément, en philosophe chrétien, — car il était devenu « fort dévot, » — employant ses loisirs à rédiger « des mémoires sur le militaire, » qu’il envoyait en France aux différens ministres et qui, vierges de toute lecture, s’amoncelaient discrètement sous la poussière inviolée des armoires administratives.

Il avait conservé pourtant, chez ses compagnons d’armes, des

  1. Journal inédit, passim.