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Juigné, de La Rochefoucauld, et surtout Christophe de Beaumont, archevêque de Paris depuis plus de trente ans, qui tirait de cette ancienneté, comme de la pureté de ses mœurs et de sa charité notoire, une grande autorité et une légitime influence, mais qui, par son zèle fanatique, s’était attiré autrefois les sévérités de Louis XV et que Louis XVI lui-même, en plus d’une circonstance, dut gourmander durement[1]. Parmi les prélats politiques, les plus en évidence étaient Dillon, archevêque de Narbonne, Boisgelin, archevêque d’Aix, Cicé, archevêque de Bordeaux, Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, gens de talent, d’esprit ouvert, habiles à se plier aux exigences du temps, comprenant la nécessité de certains sacrifices, mais auxquels le « parti dévot » reprochait, non sans apparence, quelques défaillances de doctrine, quelque secrète tendresse pour les « idées nouvelles. »

L’élévation de Turgot et de Malesherbes donnait à ce second parti une force incontestable. En revanche, le premier avait pour lui la majorité des évêques. Bon nombre de ceux-ci voyaient avec effroi siéger dans les conseils du trône deux amis déclarés de l’Encyclopédie. Le mémoire de Turgot sur la tolérance religieuse leur avait inspiré une vive indignation, et, troublés des pressans périls qui menaçaient l’Eglise de France, ils ne voyaient de remède efficace contre l’incrédulité grandissante que dans des mesures de rigueur qui réduiraient l’adversaire au silence. Ce qu’ils réclamaient avant tout, c’était la stricte application des lois, non encore abolies, qui régissaient la librairie. Empêcher par tous les moyens la publication et la vente des audacieux ouvrages dont gémissait l’orthodoxie, s’opposer fermement à la diffusion des écrits non revêtus du privilège et de l’approbation du Roi, tel était, pensaient-ils, le seul moyen pratique d’enrayer la marche ascendante de la doctrine impie, qui, comme l’écrivait un prélat, « a initié dans ses mystères les

  1. En décembre 1774, notamment, l’archevêque de Paris ayant refusé les sacremens à un vieux prêtre de Saint-Séverin, suspect de jansénisme, Louis XVI le manda à Versailles et l’apostropha en ces termes : « Le Roi, mon aïeul, vous a exilé plusieurs fois à cause du désordre que vous avez causé parmi ses sujets. Je ne vous exilerai point, mais je vous livrerai à toute la sévérité des lois. Je vous donne ma parole royale que je n’en arrêterai point l’activité pour vous. Vous m’entendez, retirez-vous. » — Lettre du sieur Régnier au prince X. de Saxe, du 22 décembre 1774. — Arch. de l’Aube. — Le fait est également mentionné dans le Journal de Hardy.