Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/765

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

philosophie, et par suite également de la désaffection qui se manifestait, dans toutes les classes de la nation, à l’égard des représentai du pouvoir religieux. Seul, le peuple, dans les provinces, gardait quelque attachement aux curés de campagne, qui, pauvres, besogneux, médiocrement instruits, partageant contre la noblesse, l’épiscopat, les ordres monastiques, bon nombre des préventions populaires, ne portaient ombrage à personne et faisaient pitié à beaucoup. Les évêques, au contraire, sauf d’heureuses exceptions, ne rencontraient que la défiance et l’hostilité de leurs ouailles. Chaque jour voyait s’affaiblir leur prestige et baisser leur autorité.

De cet état de choses, la cause première était sans doute dans les mœurs relâchées et la vie scandaleuse de certains des prélats en vue qui faisaient tort aux autres. Il faut accuser également l’habitude établie, même chez les plus irréprochables, de déserter annuellement leurs diocèses pour résider aux abords de Versailles et, selon l’expression du temps, « prendre l’air de la Cour. » Enfin il faut noter comme un motif sérieux d’impopularité les règles exclusives qui présidaient, depuis le commencement du siècle, au recrutement du haut clergé. Sous Louis XIV, encore que les principaux évêchés fussent la plupart réservés à la grande noblesse, le mérite néanmoins pouvait suppléer la naissance, et l’on comptait nombre d’évêques de modeste extraction. Il n’en fut pas de même sous Louis XV et son successeur. Vers la fin du XVIIIe siècle, tous les prélats sont gentilshommes. A l’heure de la Révolution, « sur cent trente évêques français, il n’y avait pas un seul roturier[1]. » On imagine l’irritation que semait en certains milieux un si injuste parti pris.

Cette parité d’origine des évêques n’avait pas même eu l’avantage d’établir entre eux la concorde. Au temps dont nous nous occupons, deux partis très tranchés, et très opposés l’un à l’autre, existaient dans l’épiscopat, le parti des évangélistes, qu’on nommait aussi les chrétiens, et le parti des politiques, appelés aussi les administrateurs ; énoncer ces appellations, c’est du même coup indiquer leurs tendances. Les premiers, pris dans leur ensemble, passaient pour plus vertueux, les seconds, pour plus éclairés. Dans le camp des évangélistes, les chefs étaient MM. De

  1. L’ancien clergé de France, par l’abbé Sicard.