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Mai.

Depuis quelques jours, nous avons fait beaucoup de visites chez les amies turques de Marguerite et de Mme P…

Je pense, avec une douce gaîté, aux gens qui m’ont dit, avant mon départ :

— Vous avez bien de la chance ! Vous entrerez dans les harems, dans les principaux harems de Turquie !…

De quel ton, ils prononçaient ce mot « harem ! » Ils voyaient une salle somptueuse et mystérieuse, des tapis, des divans, des eunuques, des narghilés et des brûle-parfums… Et parmi ces « turqueries, » des femmes grasses, blanches, un peu bêtes, très jalouses, vêtues de gaze et de pantalons bouffans…

Mes amis, le harem n’est pas cette prison dorée. Le harem, vous pouvez l’avoir chez vous, si Madame fait chambre à part, et si elle possède un petit salon où n’entrent pas vos camarades, où les dames seules sont reçues. Le harem, c’est l’appartement particulier de la femme.

— Des femmes ?

De la femme… Les Turcs de 1909 ont rarement plusieurs épouses et la monogamie devient la règle générale, entendez une monogamie tempérée… comme la vôtre, bons Européens. Les quatre femmes permises par le Prophète constituent un luxe coûteux. L’époux est obligé de partager équitablement entre elles les esclaves, les bijoux, les robes, et les… témoignages d’affection. Il préfère posséder une seule épouse, moins exigeante, et quelques discrètes amies, Grecques, Arméniennes, voire Occidentales, qui représentent le plaisir sans devoirs et ne troublent pas la paix du ménage. Cela lui permet d’affecter un air libéral, et de dire :

— La polygamie est faite pour les barbares. Moi, je suis un civilisé.

Pourtant, ne croyez pas que les maris turcs soient pires que les autres maris. Tout est relatif. Ils aiment leurs femmes, ils aiment surtout leurs enfans. L’épouse obéissante, élevée dans une famille pieuse, instruite à l’école que je vous ai décrite, accepte le sort que lui font la religion et les mœurs. Elle épouse sans répugnance le monsieur que ses parens lui ont choisi pour maître et protecteur. S’il est bon, elle est toute disposée à l’aimer. S’il est dur et injuste, elle est malheureuse. Mais n’y a-t-il pas,