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chaque fois que se produit un renouvellement électoral. C’est pour cela qu’il n’a jamais pu se maintenir en France. Le sentiment du danger couru a été si vif à chaque nouvel essai qu’on s’en est tenu là, ou plutôt qu’on est revenu à la hâte en arrière : il n’y a pas d’exemple de deux élections consécutives qui se soient faites par ce système de scrutin. En 1885, où on y a eu recours pour la dernière fois, la majorité républicaine est sans doute restée très forte, mais elle a été pourtant diminuée, et pendant la législature qui a suivi, en plein développement du boulangisme, on s’est demandé avec inquiétude ce qui arriverait si le hasard faisait tomber à ce moment l’échéance électorale, et si l’imprévoyance du législateur obligeait à faire les élections au scrutin de liste pur et simple. Aussi s’est-on empressé de revenir au scrutin uninominal : l’instinct de conservation a été le plus fort.

Le scrutin de liste sans représentation proportionnelle est le scrutin révolutionnaire par excellence. Nous en serions fort partisans, si nous étions les adversaires de la République. En effet, à un moment donné, il peut faire table rase de tout ce qui existe, renverser sans transition un gouvernement et en ériger un nouveau. A force de jeter en l’air les dés du destin, — et on les y jetterait tous les quatre ans, — la combinaison espérée se produirait immanquablement un jour ou l’autre. Que les oppositions intransigeantes le demandent, rien même n’est plus naturel ; mais qu’un parti au pouvoir le propose, après des expériences dont la plus récente ne date pas d’un quart de siècle, c’est ce qui étonne et ne peut s’expliquer que par des raisons utilitaires de l’ordre le plus bas. De même que la plupart de nos parlementaires ont leur horizon borné dans l’espace par le Palais-Bourbon, le Luxembourg et les antichambres ministérielles, leurs vues le sont dans le temps par la prochaine échéance électorale : ils ne regardent pas, et beaucoup d’entre eux sont incapables de voir plus loin. Comme, au moment actuel, la majorité se croit encore forte dans le pays, et qu’elle n’a d’ailleurs aucune appréhension pour la solidité immédiate de la République, ses membres, ne songeant qu’à eux-mêmes, n’ont d’autre souci que de se faire réélire avec le plus de sécurité et avec le moins de frais possible. À ce dernier égard, le scrutin de liste leur plaît parce qu’il coûte moins cher. Au premier, il leur plaît aussi, parce que les députés en possession augmentent leurs chances en les mettant en commun et en s’appuyant les uns sur les autres. Tel d’entre eux, qui a perdu du terrain dans son arrondissement parce qu’on l’y a vu de trop près, met son espoir dans les arrondissemens