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système électoral était un être vivant, une personne qui pût sentir et parler et qui eût la parole dans cette enceinte, il aurait grandement le droit de s’étonner et de se plaindre. » Et l’illustre orateur énumérait tous les bienfaits qu’avait produits le système électoral de 1830, comme M. Clemenceau, dans son dernier grand discours, énumérait les bienfaits dont la Chambre actuelle avait littéralement comblé le pays, ce qui faisait, assurait-il, de la législature en cours la plus belle page de l’histoire de France. Nous n’avons pas besoin de dire que M. Guizot, qui était historien, n’allait pas aussi loin. Jusqu’où ira M. Briand dans l’éloge qu’il ne manquera pas de faire de la majorité d’aujourd’hui et de son œuvre ? Nous le saurons bientôt, mais on peut dès maintenant en prévoir quelque chose. Nous rappellerons seulement que M. Guizot prononçait son très éloquent discours contre la réforme électorale au mois de mars 1847, et qu’un an plus tard il était en exil et la monarchie par terre. La République n’est sans doute pas exposée aux mêmes risques. Les choses, dans l’histoire, se reproduisent rarement sous une forme identique. Mais les mêmes fautes ne sauraient manquer d’amener avec le temps, des conséquences analogues, et les gouvernemens qui ne savent pas se transformer et se rajeunir sont sujets à de brusques secousses dont leur inertie et leur vieillesse finissent par se mal trouver.

Les radicaux plus ou moins socialistes qui forment aujourd’hui la majorité du Parlement, n’ayant d’autre préoccupation que celle d’y revenir, acceptent bien une partie de la réforme électorale proposée, mais ils repoussent l’autre ; ils acceptent le scrutin de liste, mais ils repoussent la représentation proportionnelle ; puis ils se tournent vers les partisans de la réforme intégrale et leur conseillent de n’être pas follement intransigeans, de se contenter pour commencer d’une demi-satisfaction et de remettre à l’avenir une satisfaction plus complète. C’est ainsi, disent-ils, que toutes choses se font en politique, par à peu près, grâce à des transactions mutuelles, au moyen d’approximations successives : le mieux est ennemi du bien ; c’est quelque chose que de réaliser du premier coup la moitié de son idéal, et ce serait faire preuve d’un esprit singulièrement étroit que de refuser la partie parce qu’on ne peut pas avoir le tout. Sancho ne parlait pas mieux. Il est pourtant à craindre que les partisans sérieux de la réforme électorale ne se laissent pas prendre à des insinuations de ce genre. Le scrutin de liste pur et simple est le pire de tous les modes électoraux : s’il n’est pas tempéré par la représentation proportionnelle, il expose un pays et un gouvernement à une révolution