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féodal, moins collectif, moins impersonnel, moins fanatique, si l’on veut, que le patriotisme japonais, celui des Américains, n’en est pas moins profond, moins prêt aux sacrifices. Il faut avoir vécu dans leur intimité et, j’ose le dire, vibré de leurs émotions, pour savoir ce que représente à leurs yeux le drapeau étoile. Soit qu’ils se vantent de descendre des fondateurs de l’Indépendance, soit qu’ils aient trouvé aux États-Unis, directement ou dans la personne de leurs pères, la contrée de leur choix, celle qui a réalisé leurs rêves ambitieux ou qui les a reçus au temps de leur détresse et relevés des misères endurées ailleurs, ils aiment leur pays et leurs institutions avec une passion, avec un orgueil, où la raison, l’instinct, la volonté semblent avoir condensé leurs forces, et dont je ne sais si aucun nationalisme dans l’histoire a jamais égalé la farouche ardeur.

La veille de mon départ de San Francisco, un jeune Pauliste, né dans la ville même, me conduisit au Parc de la Porte d’Or, qui s’étend des dernières maisons jusqu’au rivage de l’Océan. A traverser ces prairies vertes, ces parterres, ces arbustes en fleurs, ces bois de pins et de cyprès, ces longues allées d’eucalyptus qui entourent des lacs transparens, on ne se serait guère douté qu’il y a trente et quelques années, cette péninsule n’était qu’un amas de sables dénudés. Mais si la nature condescend parfois à se laisser embellir par les hommes, les moyens ne lui manquent pas d’affirmer à nouveau, dès qu’il lui convient, sa supériorité. Quand il m’eut fait assez admirer les beautés du Parc, mon ami m’emmena au sommet d’une colline, Strawberry Hill, qui en occupe la partie centrale, et d’où la vue commande un immense horizon. Au Nord-Ouest, le Tamalpaïs dressait sa tête dans les cieux, tandis que ses pentes descendaient mollement sur les rivages de la grande baie. Les hauteurs de Berkeley lui faisaient au Nord-Est un pendant harmonieux, et tout au fond le mont Diablo dressait hardiment ses deux crêtes cornues. Mais plus bleu que ces bleues montagnes, et pareil à l’azur profond du zénith lui-même, l’Océan Pacifique écrasait de sa grandeur tout ce splendide panorama. Et sans doute l’imagination n’y était pas étrangère, mais il m’apparaissait réellement plus vaste que les autres mers. Pas n’est besoin de monter très haut pour voir s’amplifier beaucoup les étendues de plaine, à condition seulement qu’à des distances variées quelques points de repère viennent les déterminer. Tandis qu’au Sud et au Nord la mer,