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auront pris une grande avance… Jusque-là, la prudence ajoute ses conseils à ceux que prodiguent déjà un amour, d’ailleurs sincère, de la paix et la crainte, efficace chez un peuple pratique, d’arrêter les affaires. Un jour sans doute le développement commercial du Japon et des Etats-Unis créera entre eux une rivalité analogue à celle qui aujourd’hui mine sourdement les rapports de l’Angleterre et de l’Allemagne, et ce sera là une cause possible de guerre, le principe d’une hostilité, non plus localisée, mais vraiment nationale. Cette jalousie, pour le moment, est à peine indiquée ; et, bien que la marine marchande des Etats-Unis souffre déjà de la concurrence que lui font les paquebots japonais grâce au moindre coût de leurs équipages, cependant, comme les besoins grandissent encore plus vite que les ressources sur les rivages infinis de l’Océan Pacifique, les moyens de transport, d’où qu’ils viennent, et les débouchés, où qu’ils s’offrent, font le profit de tout le monde. Chacun des deux peuples est pour l’autre le meilleur client, et tous deux sentent que ce n’est pas trop de leur commun effort pour mettre en valeur le champ incommensurable qui s’étend devant eux.

Ainsi, la guerre, à moins d’accidens, ne saurait avoir lieu avant plusieurs années, cinq, dix, peut-être beaucoup plus. Mais, pour les raisons ci-dessus exposées, à cause des élémens naturels et irréductibles qui sont à la base du conflit, il n’est malheureusement pas certain qu’elle puisse être toujours évitée. D’ailleurs on s’y prépare, ne serait-ce, conformément au dicton, qu’afin de maintenir la paix. Que les deux peuples travaillent à augmenter leurs flottes, nul ne l’ignore. On sait aussi que les Japonais travaillent à faire de Formose une base navale de premier rang, avec une station de torpilleurs et de puissantes batteries. Les Américains, de leur côté, agrandissent leurs chantiers, surtout sur le Pacifique, et fortifient, en même temps que les points stratégiques de leur littoral et des Philippines, la position si importante, mais si exposée, qu’ils occupent aux îles Hawaï[1]. Leur budget de l’année en cours (1908-1909) a prévu un accroissement de dépenses de 180 millions pour la guerre et de 130 pour la marine. Comme puissance navale, ils viennent immédiatement après l’Angleterre, dépassant l’Allemagne même, et nous à plus forte raison, soit en effectif réel, soit en constructions projetées.

  1. Le Parlement de Washington décidait encore, au mois de janvier 1909, de fortifier le port de San Pedro, près de Los Angeles.