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et de dépenses sa volonté bien arrêtée, malgré l’Europe, les États-Unis et la Chine elle-même, d’occuper le premier rang, comme influence, prestige et affaires, en Mandchourie et dans tout le Céleste-Empire. Il est possible que l’ambition nippone se complaise d’avance dans l’établissement d’une domination qui comprendrait du côté asiatique toutes les îles et peut-être même tous les rivages du Pacifique Nord, depuis les Philippines, ou, qui sait ? depuis les îles de la Sonde, jusqu’aux Aléoutiennes et au détroit de Behring. Mais les hommes qui dirigent avec tant de sagesse les conseils du Mikado, savent bien que, pour réaliser une si vaste ambition, il ne suffirait pas de quelques victoires navales.

Le gouvernement des États-Unis n’est pas moins éloigné de vouloir aujourd’hui la guerre ; et, si la fière impétuosité de M. Roosevelt a toujours su se contenir, témoigner même de constans égards, dans les rapports avec le Japon, ce n’est pas de son successeur que l’on peut redouter une attitude provocante. Prudent et pacifique par nature, M. Taft a, de plus, l’avantage de connaître à fond et directement tous les aspects du grand problème. Sans compter qu’il fut ministre de la Guerre, il a organisé les îles Philippines au nom des États-Unis, il a fait plusieurs séjours au Japon, il a visité la Chine, la Russie, l’Europe, et l’on peut dire que ce chef électif d’une démocratie a été préparé au gouvernement de son pays comme pas un successeur de monarque héréditaire. Enfin il est allé, quelques semaines avant de prendre les rênes du pouvoir, — ce qui n’est point, à la Maison Blanche, une vaine métaphore, — se rendre compte par lui-même de l’état des travaux dans l’isthme de Panama. Ce dernier soin est significatif. Là gît présentement le nœud de la question. Tant que les deux Océans ne communiqueront pas, tant que la flotte américaine restera coupée, les États-Unis tâcheront d’éviter la guerre. Leur marine, à tout prendre, équivaut, réunie, à celle du Japon, sur laquelle elle l’emporte même par le nombre des unités, quoique peut-être inférieure par les équipages ; mais la plupart des navires de guerre stationnent dans l’Atlantique, et il leur faudrait de longs mois, en faisant le tour du cap Horn, pour arriver sur l’éventuel champ de bataille. Dans quelques années, ce sera, grâce au Canal, une affaire de trois semaines ; et les chances, de ce chef, seront devenues égales. En réalité, on pense qu’elles auront fait mieux, et que les arsenaux américains