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du Mikado 65 pour 100, c’est-à-dire trente fois plus[1] ? La proportion, sans doute, dans l’ensemble des Etats-Unis, est en sens contraire, mais il ne faut pas se dissimuler que cette situation heureuse est déjà compromise, et que le pourcentage des Jaunes augmente rapidement, la population blanche croissant avec trop de lenteur, surtout en Californie. Exemple inquiétant, les Chinois, malgré les lois d’exclusion, augmentent d’année en année ; ils passent par le Mexique, par le Canada, et trouvent, pour la plupart, quelque moyen de fournir la preuve, nécessaire à leur admission, qu’ils sont nés aux Etats-Unis ; d’après le calcul d’un juge fédéral, le nombre de ces assertions supposerait, pour être conforme aux réalités, que chaque Chinoise, vivant en Amérique il y a vingt-cinq ans, y a mis au monde plus de 500 enfans ! Que sera-ce des Japonais, s’il leur est loisible d’entrer sans aucun obstacle ? Arrivés depuis très peu d’années, ils forment déjà, pour ne parler que des villes, des colonies qui atteignent la chiffre approximatif de 10 000 à San Francisco, de 7 000 à Seattle et à Los Angeles, de 4 000 à Oakland ; ou, si l’on veut une indication de leur activité, ils possédaient en Californie 224 magasins en 1904, 376 en 1905, 561 en 1906, et le nombre des restaurans exploités par eux était passé en deux ans de 98 à 198, celui des auberges, de 245 à 462.

C’est qu’on a beau ne pas les aimer, on a besoin d’eux ! Devant les immenses possibilités du commerce, de l’industrie, et surtout de la culture, la main-d’œuvre manque ; et ils en apportent. Tandis qu’en vertu même de sa rareté et appuyé sur son syndicat, l’ouvrier blanc impose des conditions vraiment draconiennes, ils offrent, eux, au capital un travail docile et peu exigeant, qui les fait accueillir. Écartés par le sentiment, ils se voient appelés par les intérêts ; tandis que l’idée les combat, les faits sont pour eux. Et d’autant plus ample est le résultat de cette situation qu’elle correspond, chez les Japonais, à une impulsion dans le même sens. Ce n’est point par caprice qu’ils quittent la terre gracieuse et aimée qui est celle de leurs ancêtres, c’est par nécessité, parce qu’elle est trop petite pour les nourrir tous. Ce n’est point par plaisir qu’à Formose et à la Corée plus voisines, et où ils sont maîtres, ils préfèrent les lointains rivages d’Amérique où les attendent la malveillance et

  1. Encore faudrait-il déduire du chiffre américain de 1 006 quelques Européens, et rapprocher du chiffre japonais de 31 735 celui de 4 409 Chinois et de 4 683 Coréens.