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pas au bout de quelques années seulement, des Américains accomplis, et qu’il ne ferait pas bon les traiter de nouveaux venus ou de fils d’étrangers. Mais il est jusqu’ici deux sortes d’hommes, les Noirs et les Jaunes, qui restent réfractaires à l’assimilation ; et de là, si j’ose le dire, deux nuages qui projettent leur menace, ou du moins leur ombre grandissante, sur le ciel, par ailleurs très brillant, de la grande République.

Ce n’est pas le problème noir qui fera l’objet de cette étude ; il se présente toujours dans les mêmes termes où on l’a maintes fois exposé, et le danger en est limité, puisqu’en définitive nul n’empêchera les Américains de prendre contre lui, si cela devient nécessaire, les mesures qui leur conviendront. La question des Jaunes, au contraire, apparaît à la fois comme nouvelle et comme très urgente. Ecartée depuis peu des cauchemars de l’Europe, elle a émigré vers l’autre hémisphère : vers l’Australie, qui y répond provisoirement par le boycottage ; vers l’Amérique du Sud, qui n’en perçoit pas encore l’importance ; vers l’Amérique du Nord et spécialement les Etats-Unis, où on la croyait résolue par la loi contre l’immigration chinoise, mais où elle se réveille plus ardue que jamais avec l’arrivée de Japonais nombreux, sobres, habiles, et qui se sentent protégés par une nation puissante. Le péril jaune, cette fois, n’est plus une hypothèse, ni une prophétie, mais un phénomène en voie de réalisation ; ce n’est pas l’idée d’un sociologue, ni l’invention de quelques hommes politiques, c’est la rencontre effective et le conflit on peut dire matériel de groupemens humains fort simples et abandonnés aux forces de la nature ; c’est le choc, déjà facile à percevoir, de l’ouvrier japonais et de l’ouvrier américain.

La question ainsi limitée est celle que je voudrais exposer ici, à l’aide du peu d’écrits qu’on commence à y consacrer ; à l’aide de faits qui se succèdent maintenant et auxquels on ne prête pas toujours, parce qu’ils sont lointains, l’attention qu’ils méritent ; mais à l’aide surtout des souvenirs et des impressions que m’a laissés un séjour dans les pays mêmes où le conflit des deux races est le plus douloureux, sur les rivages américains de l’Océan Pacifique, et spécialement en Californie.

Il est vrai qu’au temps de ce séjour, septembre 1907, la question ne traversait pas de phase aiguë. On n’en était plus aux excitations de l’année précédente, alors que beaucoup voulaient, malgré le président Roosevelt et au risque d’allumer une guerre