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courte veste de drap brodé, leur culotte bouffante cachée par une sorte de jupe en drap blanchâtre, fendue par devant et tout ornée de galons noirs ; leur large ceinture de cuir, leurs jambières de feutre, leurs sandales. Quelques-uns portent des cafetans en grosse laine, pareils à ceux que les laveuses étendaient sur la prairie. Tous ont un lambeau d’indienne entortillé en turban.

Ils sont très calmes, très graves, les plus jeunes, beaux comme des demi-dieux, avec cet air noble que donne la vie nomade et libre. Leurs yeux ne se détournent pas des nôtres, mais leur regard n’est pas insolent, à peine curieux.

Les femmes, plus sauvages, reculent quand nous avançons. Le chef nous fait visiter quelques huttes… Dans le noir, on distingue des tapis, des armes, des ustensiles de cuisine, un métier à tisser, très primitif, un berceau de bois, une forme de femme accroupie, immobile…

Ce sont les femmes qui ont édifié ces maisons de paille, fabriqué ces objets indispensables, tissé et brodé les vêtemens. Elles font tous les ouvrages domestiques, et même les travaux de culture, car les hommes, jaloux de leur dignité virile, ne consentent qu’à porter le fusil et à garder les troupeaux. Frelons armés, courageux, mais frelons, que nourrissent, abritent et servent les brunes abeilles résignées et industrieuses. C’est la loi de nature, l’exploitation du faible par le fort, l’asservissement de la femme laborieuse à l’homme guerrier, mais fainéant…

Je dois dire qu’elles ne paraissent pas bien malheureuses, ces dames karagachanes, et qu’elles considèrent sans émotion de jalousie, peut-être avec dédain, les hommes qui nous accompagnent et qui nous témoignent une courtoisie, pour nous toute naturelle, pour elles bizarre et choquante… Debout devant les huttes, elles tiennent par la main ou sur le bras, leurs enfans vêtus comme elles. Vieilles et jeunes, femmes et filles, sont belles, par la noblesse de leurs traits réguliers, simples, à peine plus expressifs que les traits des cariatides. Deux ou trois ont un admirable type éginétique, des yeux presque trop grands, le nez droit, la bouche en arc, dédaigneuse et triste, l’ovale un peu court, des tempes larges de Méduses sous les serpens tressés de leurs cheveux. Leurs nattes rudes, aux reflets d’acier bleuâtre, ramenées sur le front, s’y croisent, s’y enlacent, sous un voile de laine couleur de sang séché. Des boucles d’argent, des pendeloques