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péristyle à six colonnes ioniques soutenant un fronton triangulaire orné de statues. Dans ce carré s’inscrit une salle circulaire, où l’on pénètre de plain-pied, par quatre portes correspondant aux péristyles qui forment autant de petites terrasses d’où la vue s’étend dans toutes les directions. Et c’est là le charme incomparable de cette Rotonde : sur chaque face, les horizons qu’on découvre sont admirables. Au Nord, la plaine ondulée de Vicence avec, comme fond grandiose, la ligne des Alpes ; à l’Ouest, les coteaux que domine la Madonna del Monte ; au Sud, les croupes vertes des monts Berici ; mais les plus beaux s’aperçoivent de la terrasse du levant que gardent trois vieux aigles et un cygne de pierre : toute la vallée de la Brenta jusqu’à Padoue et jusqu’aux collines Euganéennes que l’on distingue par les temps clairs. Au premier plan, tout autour de la Rotonde, des jardins, des champs, des prairies, des massifs de fleurs et des bosquets de lilas lui font, au printemps, une ceinture odorante.

Nulle part, plus qu’en Italie, aux années de la Renaissance, on n’eut l’idée mélancolique de la fuite des jours et de la fragilité des plaisirs. Di doman non c’è certezza, dit un vers de Laurent de Médicis. Aussi au milieu des pires catastrophes et des événemens les plus graves, les gens cultivés et riches n’ont-ils d’autres soucis que de jouir en paix. Ce matin, dans cette villa, je songe à ce Luigi Cornaro, qui avait pourtant vu les guerres les plus terribles et le sac de Padoue, et qui rédigea, dans son traité Della vita sobria, ce qu’on pourrait appeler le code du parfait dilettante. Avec quel amour il nous dépeint « sa belle maison de Padoue, si merveilleusement située, si habilement protégée contre les ardeurs de l’été et les rigueurs de l’hiver, avec ses jardins arrosés d’eaux courantes. » Au printemps et à l’automne, il ne connaît de plus grande volupté que de passer quelques semaines dans sa villa, sur une hauteur « d’où l’on a la plus belle vue sur les monts Euganéens. » Peu d’écrivains italiens, — sauf Dante et Leopardi dont les pessimismes, si différens d’ailleurs, s’expliquent par des raisons très particulières, — ne chantèrent pas la joie de vivre. L’appétit du plaisir devient souvent ici une sorte de délire, de frénésie qui faisait dire à Goethe, un soir de mardi-gras : « Il me semble que j’ai passé la journée avec des fous. » En aucun pays les fêtes publiques ne furent une préoccupation aussi essentielle, et les plus grands artistes rivalisèrent d’ingéniosité. Palladio lui-même