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N’ayant pas connu les splendeurs d’une vie de cour, Vicence n’offre point la tristesse et la décadence de certaines villes qui, comme Parme ou Mantoue, furent des capitales et ne sont plus rien. Son éclat, moins vif, est plus durable. Et, bien que ses rues soient bordées de palais, on n’a pas l’impression de ces cités d’Italie dont parle Mme de Staël « qui semblent arrangées pour recevoir de grands seigneurs qui doivent arriver, mais qui se sont fait précéder seulement par quelques hommes de leur suite. »

La situation de Vicence est d’ailleurs charmante, au confluent du Retrone et du Bacchiglione, dans un frais vallon, entre les dernières collines des Alpes et les pentes verdoyantes des monts Berici. Elle est bien, suivant l’expression de Courajod, « un lieu béni du ciel, un de ces nids préparés par la nature pour l’éclosion de l’art italien qui, au printemps de la Renaissance, ne manqua pas de s’y installer. »

Quand Palladio paraît, ce printemps est depuis longtemps fini. La Renaissance a partout triomphé. Pour l’architecture cependant, une nouvelle période commence. Après l’âge d’or, après les grands constructeurs parmi lesquels brille, au premier rang, Bramante, nous trouvons, pendant la seconde moitié du XVIe siècle, une pléiade d’architectes dont le plus illustre est le Maître de Vicence. Ce sont surtout des théoriciens. Ils réglementent l’imagination hardie et parfois un peu fantaisiste de leurs devanciers dans des sortes de canons qui fixent les proportions, les dimensions, les ornemens de chaque ordre. Ils n’ont pas autant que ceux-ci la richesse d’invention, les trouvailles originales, les belles audaces et surtout le talent d’adapter à de grandes lignes une décoration très riche et très fouillée. Chez eux, le détail passe au second plan et ils ne s’occupent que de l’ensemble. Leurs colonnes mêmes ne sont qu’un revêtement que l’on pourrait supprimer sans que la construction générale perdît son caractère. C’est un art un peu froid peut-être, mais qui n’est jamais mesquin et ne tombe pas dans les excès du style baroque qui maltraite le détail, le diminue ou le multiplie, pour l’unique besoin des effets arbitraires qu’il poursuit.

Les seuls modèles de Palladio furent les anciens ; mais il ne les copia pas servilement. Il s’inspira, il n’imita pas. Nul ne montra à l’antiquité plus d’ardente dévotion, d’amour plus vivant,