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A droite, les Alpes brescianes, le pic pointu du Pizzocolo et les montagnes qui surplombent le lac de Garde. En face, la campagne immense avec ses vagues de cultures d’où émergent des bourgades, des clochers, des villages, les tours de Mantoue très nettes à l’horizon et parfois même, par les temps clairs, la ligne des Apennins. A l’Est, des collines trop proches cachent Vicence et Padoue ; mais on découvre la plaine à perte de vue, jusqu’à la lagune et la mer qu’on pressent à l’horizon.

Tout un morceau d’Italie est là, sous mes yeux, avec, au premier plan, la ville glorieuse qui repose, majestueuse et élégante. Les Véronais sont très fiers de leur cité qu’ils appellent souvent la Florence du Nord. Une estampe du XVIIe siècle la représente avec une inscription latine que l’on peut traduire ainsi : « Si celui qui te voit ne t’aime pas aussitôt d’une tendresse éperdue, c’est qu’il n’a ni le sens de l’art, ni le sens de l’amour. » Charlemagne la trouva si belle qu’il n’en jugea nulle autre plus digne de son fils Pépin qui y régna trente années ; et il n’est pas désagréable de rencontrer ici la mémoire d’un Franc qui, adoré de son peuple et longtemps pleuré, revit encore aujourd’hui dans une statue du portail de la cathédrale et dans une fresque de cette merveilleuse église San Zeno dont le campanile se dresse, près des remparts, dans la clarté du soir.

Ce n’est que d’un lieu élevé qu’on peut vraiment comprendre une ville et l’aimer. D’une tour, au milieu des maisons, on ne l’embrasse pas dans son ensemble ; on n’a qu’une série de vues forcément restreintes et incomplètes. Les plus parfaites visions des cités d’Italie, on les a des hauteurs qui les dominent. Il semble alors que chacune se rassemble pour nous plaire et émette à la fois toutes ses notes pour un accord voulu et définitif. Vue d’ici, Vérone laisse en notre esprit un dessin que l’on n’oublie pas. Le dédale des rues et des places qui paraissait si compliqué, l’enchevêtrement des toits, des églises et des palais, tout s’ordonne, prend sa signification exacte, devient simple et familier. Au soleil qui meurt, les briques rougeoient et s’enflamment, les verrières étincellent. Des pourpres vives flottent. Une lueur vermeille baigne la campagne. Des buées roses s’accrochent aux cyprès. C’est un soir du Poussin, noble et grave, une sorte de décor féerique où s’exalte une cité dans la gloire de la lumière agonisante. Une à une, les cloches des églises se mettent en branle, sonnent à toute volée. Nous sommes