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campagne, les costumes, les maisons, la ville que souvent l’on appelle Bolzano, tout a l’aspect italien et l’on trouve déjà dans l’accent un peu du zézaiement vénitien.

Cette vallée de l’Adige est infiniment curieuse avec ses deux murailles de porphyre qui la longent de chaque côté. Les teintes rouges des rochers, le vert des arbres, le bleu intense du ciel font un ensemble à la fois très chaud et très gai. Trente, moins encore que Botzen, est autrichienne ; et, plus bas, dès l’entrée du val Lagarina, des souvenirs de Dante ajoutent encore à cette impression d’Italie. Voici, près de Lizzana, les restes du château où, exilé de Florence, il fut l’hôte du comte Castelbarco ; et voici les Slavini di Marco, d’une tristesse et d’une désolation poignantes, qui frappèrent si fort son imagination. Le charme de la vallée est complètement détruit par ce colossal éboulement ; au soir tombant, l’effet est vraiment tragique et je comprends que le poète, au début d’un chant de son Enfer, voulant dépeindre l’horreur d’un lieu particulièrement sauvage, se soit rappelé cette sinistre vision. Comme pour en sortir plus vite, le train se hâte. Il franchit, dans un grand bruit de ferrailles, la célèbre Chiusa di Verona où l’Adige s’est lui-même creusé un passage dans le roc ; et rien n’est plus fantastique que ce sombre défilé vu par un crépuscule d’été. Tantôt les parois sont éclairées par la lueur douce et bleuâtre de la lune, tantôt le rouge couchant leur donne des reflets d’incendie. A chaque coude du fleuve, les aspects changent. Puis, brusquement, les collines s’abaissent. La grande plaine vénitienne commence. Vérone s’allume dans la nuit.


II. — LE JARDIN GIUSTI A VÉRONE

Si je n’ai qu’un après-midi à donner à Vérone, comment ne serait-il pas pour le jardin Giusti ? De tous les beaux jardins de l’Italie, — qui en compte tant et où si souvent j’ai promené mes rêveries, — je crois bien que voici mon préféré. D’autres sont plus émouvans par les souvenirs, d’autres plus voluptueux par leur situation au bord d’un lac ou de la mer ; celui-ci ne tire que de lui sa grâce et sa séduction.

Toujours les Italiens eurent le culte des jardins. Pline nous parle si souvent des siens et avec tant d’amour que l’on pourrait presque en dresser le plan ; leur décoration ne devait guère être différente de celle d’aujourd’hui ; dans une lettre à