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de l’Impératrice et quelle eût pu être sa joie de voir lu despote humilié à ses pieds, si son âme généreuse eût été capable d’éprouver un tel sentiment !

Le prince de Hohenlohe alla faire visite à l’ancien chancelier pour lui exprimer à son tour combien il avait été surpris par cet événement inattendu. « Moi aussi ! » dit Bismarck. Ceux qui soutiennent qu’il s’attendait depuis longtemps à sa disgrâce, qu’il la prévoyait et l’annonçait, qu’il aimait mieux briser son pouvoir que de se soumettre aux moindres volontés du nouvel empereur, peuvent méditer ce que contiennent de regrets, de surprise et de fureur ces deux simples mots : « Moi aussi ! »

Une sorte de réconciliation eut lieu, quatre ans après, entre Bismarck et Guillaume II à Berlin. Les Bismarckiens reprochèrent à l’Empereur de n’avoir pas été à Friedrichsruhe. « Je le sais bien, répondit Guillaume, mais ils auraient pu attendre longtemps. Il fallait qu’il vînt ici. » L’Empereur avait eu le dernier mot.

En allant offrir ses condoléances au prince de Bismarck, le 27 mars 1890, le prince de Hohenlohe ne se doutait pas que quatre ans après, il serait son successeur à la Chancellerie impériale par suite de la mort de Caprivi. Il avait hésité pendant un certain temps à accepter une charge aussi lourde. Déjà, en 1890, il avait dit ses hésitations à l’impératrice Victoria qui lui demandait pourquoi il ne prenait pas à ce moment l’héritage de M. de Bismarck. « Quand elle sut que j’étais né la même année que son père et sa mère, elle convint que j’étais un peu vieux pour assumer une pareille tâche. »

Et cependant, il céda plus tard aux instances réitérées de Guillaume II qui lui en faisait un devoir patriotique impérieux. Le 29 octobre 1894, il accepta officiellement le poste si difficile de chancelier de l’Empire et de président du Conseil des ministres, et le 13 janvier 1895, il alla, par courtoisie autant que par esprit politique, voir le prince de Bismarck. Celui-ci lui conseilla aussitôt de ne pas se perdre dans les détails, quoique les grandes mesures ne dussent lui être utiles en rien. Il le mettait en défiance contre le particularisme de la bureaucratie, la jalousie des courtisans et des hobereaux, qui ne lui avaient pas pardonné à lui-même d’être devenu prince. Il lui