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Bismarck s’était fâché contre lui, parce qu’il avait fourni l’occasion à l’Empereur de se prononcer en faveur de la Suisse. Le grand-duc ajoutait : « L’Empereur en a jusque-là, du prince ! » et en disant cela, il tirait de la main une ligne, non pas au cou, comme on fait généralement pour commenter cette image, mais sur les yeux. Tant que Guillaume II en aurait besoin pour faire passer ses projets militaires, il ne se brouillerait pas avec lui. Mais plus tard !… »

Au milieu de décembre, Hohenlohe étant allé à Friedrichsruhe, le chancelier se promena avec lui dans la forêt du Sachsenwald et lui confia qu’en cas de guerre avec la France et la Russie, dès qu’elle aurait pris quelque avantage, l’Allemagne chercherait à s’entendre au plus tôt avec cette dernière au point que le royaume de Pologne pût être rétabli. Mais tout cela était remis à un avenir éloigné. Revenant à l’Alsace, Bismarck ne nia point qu’un jour on dût en venir à lui retirer son droit de représentation au Reichstag. En attendant, il était d’avis d’expulser ceux qui oseraient prendre la protestation comme programme électoral. Puis il parla incidemment de Frédéric III, et témoigna contre lui une profonde aversion, « motivée, disait-il, par son égoïsme et son manque de cœur. » C’était là un reproche vraiment singulier de la part d’un homme qui se targuait de sa roideur et de son insensibilité.

Le 20 mars 1890, Bismarck était forcé de donner sa démission. Elle était aussitôt acceptée par Guillaume, qui la réclamait avec instance depuis trois jours. Voici comment le souverain, un mois après, raconta lui-même au statthalter, au cours d’une chasse à Strasbourg, sa rupture avec le chancelier.

Le différend avait commencé au mois de décembre. À ce moment, l’Empereur avait demandé au chancelier de faire quelque chose pour la classe ouvrière. Bismarck s’y refusait. L’Empereur insistait, disant que, si le gouvernement ne prenait pas l’initiative, les socialistes, les progressistes et le centre la prendraient, et que le gouvernement serait forcé de suivre. Le chancelier proposait au contraire de soumettre au Reichstag nouvellement élu le projet contre les socialistes, de dissoudre le Reichstag, s’il s’y opposait, et de réprimer énergiquement les soulèvemens qui pourraient en résulter. Guillaume II ne consentit pas à acquiescer à une telle politique. Il ne pouvait inaugurer son règne en massacrant ses sujets. « Il était prêt à intervenir, mais