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Ceux qui vont entrer seront obligés de passer par la petite, » Le grand ministère avait vécu deux mois et demi. Blowitz revint à l’ambassade allemande et donna ainsi son opinion : « Gambetta prend désormais rang parmi les sauveurs à côté du comte de Chambord, du prince Napoléon, etc. Il ne sera rappelé que le jour où l’on aura besoin de lui pour sauver le pays… Son rôle est provisoirement terminé. Puisqu’il s’est identifié avec le scrutin de liste, il devra désormais poser ce scrutin comme condition de sa rentrée au pouvoir. Et comme la Chambre n’y consentirait pas avant 1885, jusqu’à cette date, il est isolé des affaires. » L’événement apporta une autre solution. Une mort prématurée emporta Gambetta le 31 décembre 1882.

Quelques jours après, dans une conversation avec le prince Napoléon, le prince de Hohenlohe regretta la disparition subite de Gambetta et déclara qu’il l’avait toujours tenu pour un homme de génie. Le prince Napoléon trouva l’expression un peu forte. Il convint toutefois que Gambetta était un orateur génial. Mais il lui manquait l’expérience des affaires. « Néanmoins, il laisserait un grand vide dans son parti. On ne créait pas une telle fortune d’un jour à l’autre. » Hohenlohe alla voir le président Grévy qu’on croyait fatigué et affaibli. « Il était frais et dispos comme toujours et se mit à rire quand je lui racontai qu’on le disait malade. Il répondit : « Oui, ma santé les gêne beaucoup. » Quant à la mort de Gambetta, qui le délivrait d’un rival redouté, il n’y fit pas la moindre allusion.

Il y aurait d’autres points intéressans à étudier dans le Journal de l’ambassadeur allemand à Paris, mais ils déborderaient le cadre de cet article. Je veux examiner seulement, dans ces pages, la politique du prince de Hohenlohe comme statthalter d’Alsace-Lorraine, ainsi que ses jugemens sur Bismarck. Le 19 juin 1885, étant allé voir le chancelier aux eaux de Kissingen, la conversation tomba sur le remplacement du feld-maréchal de Manteuffel, mort deux jours auparavant. On parla de Henckel, de Roggenbach, du comte de Reuss, du prince Albert. « Et vous, dit Bismarck à Hohenlohe, vous n’en auriez pas envie ? — Si, répondit celui-ci ; mais j’y vois un obstacle, c’est que je ne porte pas l’uniforme militaire. — Vous pourrez porter l’uniforme d’ambassadeur, répliqua en souriant le chancelier. Il plairait