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être militairement forte pour se maintenir en Europe, mais il n’était pas question de guerre. Y a-t-il en France un parti de la guerre ? Le maréchal ne pense qu’à rester en place. Là se bornent ses vues. » C’était un jugement mal fondé. Si le maréchal a dit le : « J’y suis, j’y reste, » ce n’est que dans la tour minée de Malakoff. Celui qui a pu jeter un coup d’œil sur les Mémoires inédits de Mac Mahon reconnaîtra qu’il était exempt de toute ambition personnelle. « J’ai servi loyalement, a-t-il dit, les gouvernemens successifs et à leur chute, je les ai regrettés tous, à l’exception d’un seul, le mien. » Thiers ajoutait : « Gambetta se dispose à prendre la présidence. Quant à moi, je ne songe pas à la guerre. » Et Hohenlohe faisait cette remarque : « Suivant Thiers, toute la France se résume en ces trois personnes. » L’ambassadeur avait certainement une grande sympathie pour l’ancien président de la République, mais il ne se gênait point pour souligner ou critiquer ses ambitions. « Quand je lui racontai, écrit-il un jour dans ses notes, que le feld-maréchal Manteuffel désirait le voir au ministère de la Guerre, il en rit énormément, non d’ailleurs sans en être flatté. » Il se souvenait avec plaisir d’avoir porté au lycée de Marseille l’uniforme de la garde impériale avec les guêtres montantes et affirmait que c’était là qu’il avait conçu le goût des choses militaires.

L’ambassadeur allemand relate un entretien des plus curieux entre lui, Thiers et Gambetta, à la date du 3 juillet 1877. « On parla de choses et d’autres, de la guerre de Turquie, de l’Angleterre, etc. Thiers raconta ses vieilles histoires de Metternich, Talleyrand, Louis-Philippe que nous écoutâmes avec respect. Jamais je n’ai vu le présent et le passé symbolisés avec autant de force qu’en ces deux hommes. Gambetta, que ces récits vieillots devaient peu amuser, les écoutait avec l’attention d’un fils et témoignait le plus vif intérêt. Je profitai d’une pause pour questionner Thiers sur les prévisions électorales. » Il répondit que depuis 1789 on n’aurait pas vu d’élections pareilles ; que la France était résolue à écraser les adversaires de la République et qu’elle tiendrait parole. « Gambetta fait bonne mine, constate Hohenlohe. Il est courtois, aimable, et pourtant, l’on devine en lui l’homme d’Etat énergique et conscient de sa force. » Dans un autre entretien, l’ancien président de la République déclare à l’ambassadeur qu’il ne reprendrait la présidence qu’à contrecœur, mais qu’il ne pourrait cependant refuser de servir son pays,