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entretenue au dehors a remplacé la concubine ou la seconde épouse qui faisaient partie de la famille. Le divorce est facile et fréquent. Pourquoi les femmes se priveraient-elles d’un plaisir, d’une robe ou d’un bijou, afin de ménager une fortune dont une autre, demain peut-être, profitera ?

Ne généralisons pas. Il y a des Turcs qui s’attachent strictement à leur épouse et qui trouvent en elle une fidèle amie. Mais ceux, très nombreux encore, qui ne voient en elle qu’une compagne de lit, — souvent froide et passive, — et une reproductrice résignée, ceux-là ne peuvent lui demander la haute et délicate tendresse, le réconfort, et même le bon conseil que l’Européen trouve à son foyer.

Mme Ange, qui, malgré ses légers défauts, est une créature excellente et dévouée, n’a pas été inutile à l’élévation rapide de Djavid Pacha. Après quinze ans de mariage, il lui a préféré une esclave jeune et fraîche, et il l’a renvoyée, sans enfant, presque sans argent. Pas un mot de regret. Pas un attendrissement sur le passé d’amour. Le mépris oriental de la femme a reparu dans ce pseudo-civilisé, dès que la femme est devenue une gêne, un devoir !

J’ajoute que ce divorce a été blâmé par tous ceux qui en ont connu la cause et les circonstances. Plusieurs dames turques, qui ne partagent nullement les idées révolutionnaires et philosophiques de Mélek Hanoum, m’ont dit : « C’est une exaltée, une imprudente. Elle nous a fait un grand tort, à toutes, par ses exagérations. Mais c’est une femme de cœur, et la conduite de Djavid Pacha a été odieuse. »


La vie matérielle est simple et, je crois, peu coûteuse, chez mon amie. Sa petite villa, — sur le modèle courant de toutes les villas turques, — est très propre, très gaie, sans luxe. Il y a des meubles européens, mais c’est la manière de s’en servir qui n’est pas européenne !

J’occupe le seul lit de la maison, un lit de fer à barres de cuivre, qui a deux oreillers plats au chevet, et un troisième oreiller, très long, contre le mur, — souvenir du divan national. Les draps sont cousus à la couverture. La fenêtre est ornée de petits rideaux en cretonne bleu marine à fleurs, non pas coulissés sur des tringles ou plissés sur des anneaux, mais cloués à même le mur, par des pointes. Un portemanteau, deux chaises,