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parcs anglais. La seule beauté réelle de ce lieu, c’est ce qui est dehors ; le fond de paysage, le Bosphore bleu, la côte d’Asie bleue et mauve. Le reste… ô mystification !

Un monsieur, coiffé du fez, blond, doux, affable, nous sert de guide. C’est un Français, M. Henry, qui fut, pendant six années, jardinier en chef d’Yldiz. Il ne s’étonne pas de nous voir déçus. Il dit :

— Bien surfait, tout ça !…

— Oh ! combien !

— Et mal tenu ! Ce n’est pas ma faute, vous savez. J’aurais aimé arranger ces jardins, en faire une belle chose d’art. Le Bosphore au second plan, l’Asie au troisième plan, quelles perspectives à ouvrir, quels tableaux à composer. Mais, pas un sou ! Poches vides… Les ferrures des serres se rouillent, l’eau croupit dans les bassins ; l’herbe pousse dans les allées ; les branches mortes encombrent les taillis. Pas un sou !… Les fonctionnaires du palais ont tout raflé. Et les garçons jardiniers sont en grève.

— En grève ?

— Ils veulent être payés. On ne les paie pas. Alors, ils refusent le travail. Il y a deux mille citronniers dans l’orangerie qui devraient être mis à l’air. Les jardiniers ont dit : « Nous sortirons les citronniers quand nous aurons notre argent. »

Et M. Henry ajoute, mélancolique :

— Ils sont fichus, ces deux mille citronniers.

Voilà les impressions que j’ai rapportées de cette « merveille » trop vantée d’Yldiz, avec une petite pomme verte de bergamote, qui parfume mon armoire, comme un sachet.


Mai.

I… bey, le plus français des Turcs, me fait ses confidences :

« La vie conjugale ! Elle serait charmante, elle serait tout au moins facile, s’il n’y avait pas ce fléau du harem : la belle-mère. Notre Karagheuz, qui est misogyne, appelle la femme « l’ennemie domestique, » ou « Son Altesse Scorpion… » Quel nom donnerai-je à la femme devenue belle-mère ? Des belles-mères françaises, j’en ai vu, madame, et de redoutables, quand j’étais attaché d’ambassade à Paris. Mais elles sont, aux belles-mères turques, ce que la couleuvre est au cobra. »

Je frémis. Cet homme a dû bien souffrir, à moins qu’il ne se