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Yldiz !… Des palais trop blancs, trop sculptés, trop chargés, des palais pour parvenu millionnaire que les architectes exploitent, des palais très coûteux, très laids, plus que laids : bêtes et dispersés au hasard dans un jardin qui s’abaisse, par une série d’ondulations, vers le Bosphore.

Comme les boîtes japonaises qui contiennent des boîtes japonaises, l’une dans l’autre, ce jardin contient plusieurs jardins. La voiture se heurte à un mur, à un groupe de factionnaires : « Yassak ! » Discours infinis comme notre patience. Le soleil brûle… On passe enfin, mais il faut laisser la voiture au seuil de cette seconde enceinte qui enferme la troisième enceinte : le jardin central, le cœur secret d’Yldiz, le harem.

Nous ne franchirons pas cette troisième enceinte. Les scellés défendent les portes que ne gardent plus les eunuques noirs. La cage est vide ; les oiseaux brillans sont envolés. Des princes, de hauts fonctionnaires en ont recueilli quelques-uns. Les autres se laissent vivre aux frais de la nation… Il y a, dit-on, trois cent cinquante dames de tout âge qui attendent des protecteurs… Vide aussi, la maison du Grand-Eunuque, ce vilain nègre qui a une réputation de bourreau. Vide, le palais tarabiscoté construit pour l’Empereur et l’Impératrice d’Allemagne. Résignons-nous à ne voir de Yildiz que ces façades biscornues, et par les fenêtres quelques rideaux, quelques meubles, d’un horrible goût allemand « art nouveau. » Bornons notre curiosité au parc.

Le parc d’Yldiz !… Les Turcs, très gravement, le comparaient à Versailles. Ils vantaient les profonds ombrages, les pièces d’eau, les lacs, et la flottille sur les lacs, et la ménagerie, et les écuries, et les serres. Yldiz ! C’était le jardin du paradis de Mahomet.

Yldiz, ô mes amis ! Si les gens qui l’ont vu, naguère, en ont fait tant de louanges, c’est pour bluffer, pour exciter l’admiration et un peu la jalousie. C’est si délicieux d’avoir vu ce que les autres ne verront jamais ! Cela permet de dénigrer les beautés offertes à tous. « Versailles ?… Peuh !… Si vous connaissiez Yldiz !… » Mes amis, le petit jardin d’Eyoub, si naïvement turc, vaut tous les parcs du Sultan. Les parcs du Sultan ressemblent à une grande propriété banale, sans style, sans dessin, médiocrement plantée, fort mal entretenue. C’est plus anglais qu’oriental, — et il y manque la fraîcheur, l’ombre épaisse, la netteté des