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C’est la province, et l’on ne peut avoir qu’une image incomplète, qu’une idée faussée d’un grand pays, si l’on n’a pas séjourné quelque temps en province. Pour un étranger qui saurait voir, Saumur, Troyes ou Périgueux, seraient plus significatifs, plus révélateurs de la vraie France que Paris même. Stamboul n’est pas toute la Turquie ; les Turcs européanisés de Stamboul, — ceux qui passent trop souvent le pont, — ne représentent pas le Turc typique.

Les femmes musulmanes que je désire connaître, je veux les voir ici, d’abord, dans cette ville qui conserve ses mœurs et ses traditions. Plus tard, je comprendrai mieux, par comparaison, les dames de Stamboul, la petite élite des incomprises et des désenchantées.

Il m’est très facile de pénétrer dans les familles de fonctionnaires ou d’officiers qui sont en relations avec les Européennes des consulats ; Mme P…, une Grecque, très intelligente, qui parle turc, veut bien me servir d’interprète.

Avant tout, j’ai désiré voir une école de filles. Non pas une école grecque, ou arménienne, ou juive, non pas même une école tenue par des religieuses françaises, — celles-là sont connues, on les a déjà décrites. — L’école qui m’intéresse est turque, réservée aux filles musulmanes. Les femmes seules y sont admises, et non sans difficultés, car les maîtresses et les élèves ne parlent que leur langue maternelle.

Aucune visite ne peut être plus instructive, aucune ne peut donner plus de renseignemens sur la formation de la musulmane.

Mme P… me dit :

— Il y a ici une toute petite école ; les enfans du peuple et de la bourgeoisie la fréquentent, mais non pas les jeunes filles riches. Celles-là ont des gouvernantes particulières, Anglaises ou Françaises… Et quelles gouvernantes !… Pour une brave fille, consciencieuse et instruite, il y a vingt aventurières, rebut des pensionnats européens, ex-femmes de chambre ou demoiselles de magasin… sinon pire !… Vous devinez quel enseignement et quels exemples reçoivent les jeunes hanoums et quelle idée elles se font de la vie occidentale…

Robert Mizrahi, l’aimable directeur des affaires politiques du vilayet, a préparé notre visite, et nous avons été averties, ce matin, que la directrice de l’école, très honorée et très flattée, nous recevrait à onze heures, Mme P…, Marguerite et moi. On