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Ce jeune homme, en pleine convalescence, va quitter bientôt l’hôpital. Il se dit très heureux, très reconnaissant des soins qu’il a reçus, et je remarque la manière respectueuse et paternelle dont il considère sa petite compatriote. Les autres officiers que nous visitons nous font le même accueil grave et souriant. Je les félicite de leur courage et de leur guérison, et ils me serrent la main, sans aucun embarras. Figures résolues, affinées par la souffrance, ils inspirent l’estime et la sympathie. Leur petit domaine de quelques pieds carrés est très propre, très bien rangé. Toujours des fleurs sur la table, des journaux, plus rarement des livres.

Bien différent, mais plus caractéristique est l’aspect de la salle commune, — quinze ou vingt lits, — où sont les soldats. La robuste jeunesse de quelques hommes a triomphé du mal. Assis sur leur séant, vêtus de capotes brunes, ou debout, par petits groupes, ils se divertissent sans plaisanteries criées, sans rires bruyans. Les uns jouent aux cartes. Ceux qui ne savent pas lire écoutent un « savant » qui lit et commente le journal Dans un lit, un gamin de quinze ans s’enfonce sous les couvertures, à ma vue, et me tourne le dos. Sélika lui touche l’épaule, le gronde de sa bouderie. Il ne bronche pas. Alors, gentiment, elle le « borde, » comme un petit frère :

— Ce petit-là, — dit-elle, — il s’est sauvé de la maison pour aller se battre et il a reçu une balle dans la jambe. Il guérira, mais ce sera long, car il n’est pas sage et n’obéit pas aux médecins.

Au chevet des lits, sur les murs, on a épingle des cocardes, des images patriotiques. Le soleil projette sur le sol un beau chemin doré, brûlant, glorieux. La force de la jeunesse et de la vie, l’enthousiasme du sacrifice et de la victoire, la joyeuse espérance semblent s’exalter dans la merveilleuse lumière, et rien au monde ne serait moins triste que cette chambre d’hôpital, s’il n’y avait, sur les oreillers pâles, de pâles figures creusées, ravagées, qui ne se contractent pas, qui ne gémissent pas, qui attendent et regardent loin, bien loin, hors du monde…

Ces figures-là, toutes jeunes, et marquées par la mort, je ne peux pas les regarder. Je pense aux mères qui ne les verront plus. Mon cœur se gonfle… Surprise, ma compagne me dit :

— Il ne faut pas les plaindre, ceux-là. Ils ne regrettent rien. Ils étaient venus pour mourir. Ils avaient réglé leurs