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Mais on s’abuse. L’homme d’Orient, après dix ans comme après deux heures, ne dit que ce qu’il veut dire.

Il est aussi très difficile de pousser une enquête, d’obtenir des réponses précises et enchaînées. Je demande s’il y a des doctoresses…

— Mais certainement.

— Et des infirmières ?

— Beaucoup.

— De vraies infirmières, qui soignent les malades ?

— Oui.

— Turques ?

— Vous allez en voir une. Elle vous guidera, parce que, moi, je ne peux pas marcher. Je suis si fatigué, si fatigué…

Des doctoresses, des infirmières ! Je ne m’attendais pas à une si belle coopération féminine.

— Et les enfans ?

— Il n’y en a guère, ici, en ce moment. Nous les avons dispersés en d’autres maisons. Il fallait bien recevoir les blessés du 24 avril. Nous avons encore beaucoup de blessés. Niazi bey est venu les voir l’autre jour. Voici la photographie qu’on a faite.

Gracieusement, le pacha m’offre, en souvenir, la photographie de Niazi bey, entouré des officiers convalescens et de tout le personnel de l’hôpital. Et M. Bareille me dit :

— Ibrahim Pacha demande si vous consentirez à être photographiée tout à l’heure, avec lui ?

Très volontiers… Pendant que nous échangeons de nouveaux complimens, une petite personne brune, — oh ! si petite ! — est entrée, en faisant les saluts d’usage, la main sur la poitrine, sur les lèvres, sur le front. Elle a un gentil visage rond et mat, des yeux immenses, noirs, lumineux et mouillés, sous de grands sourcils qui se rejoignent presque. Le brassard du Croissant rouge serre la manche de sa blouse d’infirmière en toile blanche. Un voile de mousseline, bordé de dentelle, est simplement posé sur sa tête et noué sous son menton. Ce voile cache les beaux cheveux sombres et laisse deviner, par transparence, un ruban rose, « à la Greuze. »

Cette minuscule demoiselle a la grâce d’un tout petit chat, discret et vif, câlin et hardi. Il paraît d’abord impossible de la prendre au sérieux. Elle est trop petite. Elle est trop jeune aussi :