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un peu surprise de voir, si près du saint lieu, des images patriotiques à un sou. Ces grossiers coloriages représentent l’investiture de Mahomet V, une séance du Parlement, et les pendus, — beaucoup de pendus ! — Je croyais que la religion islamique défendait la reproduction de la figure humaine ?

La cour du Platane est simple et belle, dans sa blancheur ensoleillée. L’arbre gigantesque la couvre presque tout entière d’une coupole de feuillage. Autour de la fontaine aux ablutions, des musulmans sont assis ; d’autres dorment couchés ; d’autres jettent du millet, — dix paras la mesure ! — à des centaines de pigeons. La mosquée ouvre dans une autre cour, plus sainte, plus inaccessible que celle-ci.

Pendant que nous regardons, sans avancer trop, pour ne pas offenser des susceptibilités respectables, M. Bareille a lié conversation avec un hodja ; puis il nous a quittés, et il est entré dans un corps de garde de gendarmes macédoniens. Il revient vers nous, escorté de deux sous-officiers de Salonique, et du ton le plus naturel, il nous dit :

— Entrez.

— Où ça ?

— Dans la cour… J’ai parlé aux officiers du poste, et ils ont arrangé l’affaire avec les hodjas… J’habite Constantinople depuis vingt-cinq ans, et je n’ai jamais pu pénétrer dans cette cour, même avec de hauts dignitaires turcs. En ce moment, le prestige des officiers de Salonique est si grand qu’ils peuvent tout. Ils nous donnent deux sergens comme escorte, par prudence.

Et c’est ainsi que je suis entrée dans la cour du Platane, pas très rassurée, je l’avoue, et prête à m’en aller si les fidèles avaient fait un seul pas vers moi. Mais les fidèles respectent les gendarmes bleus autant qu’ils méprisent les giaours. Un petit hodja de quinze ans, très déluré, nous a montré le grand creux dans le tronc de l’arbre, et la fontaine. J’ai jeté du grain aux pigeons et me suis hasardée jusqu’au seuil de la seconde cour. Alors, le petit hodja, avec un sourire, m’a fait signe de passer, et nous avons tous passé, et nous nous sommes arrêtés tous devant le mur de gauche, plaqué de faïences où s’ouvre la grille du tombeau d’Eyoub… En face, la mosquée, fermée par un rideau de cuir, dominée par deux minarets blancs… Et comme personne ne nous disait rien, j’ai suivi le petit hodja qui était