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versant de la colline, commencent les étranges rues blanches et dorées, parmi les platanes verts. Entre des jardinets, et des fontaines, elles ont pour maisons, ces rues d’Eyoub, des pavillons de marbre, octogones ou arrondis, qu’ornent les guirlandes, les rubans, les rinceaux et les coquilles de notre XVIIIe siècle français. Derrière les fenêtres longues, grillées d’or, des rideaux de soie claire, à bouquets, se croisent. Est-ce un salon de musique, une salle de collation, une chambre d’amour où veille l’ombre dépaysée de Watteau ? Je m’approche. Je regarde… Ni meubles, ni tentures, ni fleurs. Des flambeaux d’argent, avec des cierges de cire jaune, posés sur un tapis couleur de turquoise morte et de rose fanée. Un pupitre de bois supportant un Coran ouvert. Sur l’estrade que défend une balustrade d’ébène, un cercueil très haut, couvert d’une très ancienne soie rouge, élimée, usée, mangée…

C’est le cercueil d’une sultane morte depuis cent ans et plus. Pieuse, elle a légué de grosses sommes au clergé musulman, afin que son dernier logis, son turbé, fût entretenu par les prêtres. Et les prêtres lui ont donné un gardien, un hodja, qui habite tout près d’elle, dans une cellule, et soigne le jardinet où sont ensevelis les parens, les amis, les serviteurs qu’elle aima. Le voilà, ce gardien de la sultane défunte, assis dans le tout petit cloître qui enferme le jardin avec les tombes, le figuier sauvage, la glycine noueuse et fleurie, les glorieux rosiers grimpans. Contre une modeste aumône, il nous permettra d’entrer, de respirer les fleurs, de saluer la dame du lieu ; et il nous montrera son petit ménage particulier, son divan, son écuelle, son chapelet d’ambre, son livre de prières…

À côté de la Sultane, il y a un grand vizir, et plus loin, un général, et des ministres, et des eunuques, et des prêtres, qui peuplent de fantômes ces pavillons ciselés, ce Trianon funèbre d’Eyoub.

Des colombes palpitent dans l’air sans frissons. Le ciel est si doux qu’il consolerait toutes les tristesses. Partout des blancs purs, des verts tendres. Eyoub, par ce matin de mai, a la fraîcheur d’une amande ouverte.

Nous voici devant la mosquée, à la porte de cette cour du Platane, si funeste à M. Sageret. Les maisons des vivans sont ici plus nombreuses que celles des morts, et la rue très peuplée a des boutiques de barbiers, de restaurateurs, d’épiciers. Je suis