Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/575

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


15 Mai.

Nous avons formé une petite bande d’amis, sans prétentions et sans pose, liés par une bonne camaraderie, et par le même désir de voir beaucoup de belles choses et de les bien voir. M. Bareille est notre cicérone, et c’est lui qui nous conduisit à Eyoub. C’est à lui que nous devons d’avoir accompli un véritable exploit, en pénétrant dans la sacro-sainte mosquée, interdite aux infidèles ! Déjà, l’on veut à peine me croire quand je raconte comment j’ai pu entrer dans les deux cours, et mettre mon chapeau, — mon chapeau cloche ! — à la grille du fameux tombeau ! Je me rappelle qu’à Paris, l’hiver dernier, M. Jules Sageret, le spirituel auteur des Paradis laïques, me fit un récit amusant et inquiétant de sa visite à Eyoub. Il était entré par mégarde dans la cour du Platane et considérait innocemment l’architecture de cette cour, lorsque deux quidams se précipitèrent sur lui et l’expulsèrent du lieu sacré, — tels les anges chassant Héliodore dans la fresque de Delacroix.

— Et même, — ajoutait M. Sageret, — ils me passèrent à tabac…

Je n’espérais donc pas traverser jamais la cour du Platane, et naturellement, j’en mourais d’envie… Toutes les femmes comprendront ça ! À Paris même, quand on lit, sur la porte d’un couloir, ou sur une palissade : « Le public n’entre pas ici, » on est tenté d’entrer, pour rien, pour le plaisir. Si la pomme de l’arbre de science n’avait pas été déclarée « fruit défendu, » la femme l’eût trouvée trop verte…

Donc, sans intention coupable, je suivis M. Bareille à Eyoub. M. Bareille est charmant. Amoureux de Stamboul et dévot de Byzance, il a les yeux très doux, les cheveux en désordre, la redingote mal coupée, l’âme exquise d’un vrai savant. Il ignore l’heure qu’il est et le temps qu’il fait. Il est indifférent aux grandeurs et aux vanités du monde. Il n’est pas riche, il n’est pas décoré, il n’est pas célèbre. Mais quand il s’en ira, — le plus tard possible, — au ciel du Christ Pantocrator et de la Panaghia, les dames de Byzance, qu’il a tant aimées, le recevront. Et toute l’éternité, assis sur un trône de mosaïques, M. Bareille fera de l’archéologie, avec sainte Hélène et saint Chrysostome.

Eyoub ! Bien avant le bois des stèles et des cyprès, sur le