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Oui, Mamzelle Nitouche, en grec !… Et combien changée !…

La salle n’était pas brillante, mais elle était très convenable, et beaucoup de familles, en toilettes modestes, occupaient l’orchestre et les balcons. L’élément demi-mondain était rare. En somme, un public sympathique, conquis d’avance, et qui prenait la chose au sérieux. Le sentiment grec est si vif, que le fait d’avoir une troupe locale, jouant dans le dialecte local, remplissait les spectateurs de fierté, presque d’émotion.

Mais ces braves gens de Péra s’amusaient beaucoup moins que nous, car, si nous ne comprenions pas un mot, nous savions tous, plus ou moins, de quoi il retournait. Ceux mêmes d’entre nous qui n’avaient pas vu la pièce, à Paris, se faisaient une idée et une image exacte de Mamzelle Nitouche, pensionnaire espiègle et ingénue, qui saute par-dessus les murs de son couvent, remplace une actrice, berne un vieux colonel avec la complicité d’un professeur de musique, se déguise en soldat, et, au dénouement, apporte à son amoureux légitime une innocence intacte.

Pimpante, hardie, coquette et candide, c’est la jeune fille d’opérette, à la mode d’il y a vingt-cinq ans. C’est une marionnette gentille, un véritable article de Paris, nez en l’air, œil malin, bouche spirituelle, cheveux fous.

Mais ici, Mamz’elle Nitouche, c’est une jeune Pérote, dont les cheveux noirs cernent d’une ligne obscure la perruque d’un blond excessif. Le visage agréable, trop rond, est blanchi et rosé à force de crème et de poudre, tandis que les bras solides gardent leur ton naturel un peu basané. La toilette aussi est pérote, hélas ! Célestin, le compositeur, me rappelle irrésistiblement les garçons d’hôtel. La supérieure n’a pas moins de moustaches que le colonel, et les pensionnaires du couvent des Oiseaux, courtes et noiraudes, vêtues d’extraordinaires robes bleues, ressemblent à de petites bonnes de Marseille qui auraient mal tourné !… Et l’armée française ! Que dire de l’armée française, de la « dégaine » des officiers en pantalons de flanelle rouge, et que coiffent de petits képis bien imprévus !

Sans doute, en France, dans les petites villes, il y a des représentations aussi comiques, des décors plus ridicules, des chanteurs moins supportables. Car, à tout prendre, les acteurs d’ici ont tous de la bonne volonté, quelques-uns ont du talent, l’orchestre est passable, et le public ne s’ennuie pas du tout. Mais