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les voitures fermées, les stores se soulèvent, révélant de beaux visages maquillés, à demi voilés du yachmak blanc qui cache le menton et la bouche, découvre le nez fin, un peu courbe, les grands yeux noirs, et s’enroule sur le toquet de roses. Les diamans des bagues scintillent. Les dames de la Cour, — celles qui ne portent pas le titre de princesses et n’ont pas le droit de rester sans coiffure sous le yachmak, celles qui n’ont pas trouvé place au pavillon et doivent attendre, dans leurs voitures closes, sous la garde des eunuques, — considèrent, à quelques pas, la scène réjouissante. Le « sergot de la Presse, » humble et fier, est revenu se planter contre l’auto. Discrètement, M. Belon lui offre le petit backchich que personne, en Orient, sous aucun régime, n’a refusé… et que ce policier phénomène refuse d’un grand geste pudique. Attendrissement général. Les temps sont bien changés ! Mais cependant que des chevaux piaffans détournent l’attention du public, le policier se rapproche encore, et, soulevant sa tunique, il montre la poche béante de son pantalon où glissent les piastres jolies, et le quart de medjidié en bel argent. Personne n’a rien vu ; l’honneur de la police turque est sauf. Désormais, il est à nous, il est tout à nous, le « sergot de la Presse. » Il se multiplie pour nous servir, — tandis que M. Adrien Biliotti, de la Banque ottomane, dispose son appareil photographique. Vite, un, deux, trois clichés, — qui rateront, car le soleil est trop cru et nous avons tous bougé. Et voilà que M. Biliotti, avec l’audace du jeune âge, se tourne, kodak en main, vers les voitures de la Cour. Une dame coiffée de roses, voilée de blanc, a presque mis la tête à la portière. Elle se retire vivement… Dédain ?… pudeur ?… Non. Le temps d’un éclair, elle avance son charmant visage d’idole peinte, que ne protège plus le bandeau de mousseline empesée. Hélas ! un affreux eunuque se précipite… Le store tombe avant le déclic du kodak.

Musiques au loin… Une automobile blindée précède le cortège impérial dont nous imaginons le déroulement fastueux, les costumes anciens, ruisselans d’or et de pierreries… Des soldats, rien que des soldats, artilleurs, dragons, fantassins qui lancent la jambe à la prussienne. Il en passe des centaines et des milliers. Les applaudissemens ininterrompus redoublent quand apparaissent, sur des chevaux magnifiques, Enver bey et Niazi bey, « héros de la liberté, » et Chevket Pacha, le conquérant de