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un témoin, « une grimace effroyable. » Le duc se le tint pour dit. Voyant le coup manqué, il partit pour sa terre, abandonnant ses partisans en complet désarroi.

Une seule personne, dans ce fiasco, conserva, semble-t-il, une belle humeur imperturbable, et ce fut Marie-Antoinette. Contente du camouflet infligé publiquement au parti d’Aiguillon, amusée du bon tour qu’elle avait joué à son candide époux, son petit succès personnel la consolait pleinement de l’échec de sa politique. Son enfantine satisfaction perce dans ce billet, d’un tour assez fâcheux, qu’elle adressait sur cette affaire à son confident habituel, le comte de Rosenberg : « Vous aurez peut-être appris, écrit-elle[1], l’audience que j’ai donnée au duc de Choiseul, à Reims. On en a tant parlé, que je ne répondrais pas que le vieux Maurepas n’ait eu peur d’aller se reposer chez lui. Vous croirez aisément que je ne l’ai pas vu sans en parler au Roi, mais vous ne devinez pas l’adresse que j’ai mise pour ne pas avoir l’air de demander permission. Je lui ai dit que j’avais envie de voir M. de Choiseul et que je n’étais embarrassée que du jour. J’ai si bien fait que le pauvre homme m’a arrangé lui-même l’heure la plus commode où je pourrais le voir. Je crois que j’ai assez bien usé du droit de femme dans ce moment ! »

La mauvaise chance voulut que ces lignes, tout au moins familières, fussent, grâce à l’indiscrétion du comte de Rosenberg, connues à la cour de Vienne, où elle produisirent, comme on pense, un effet de scandale. L’Impératrice leva les bras au ciel : « Quel style ! Quelle façon de penser ! mande-t-elle à Mercy-Argenteau. Elle court à grands pas à sa ruine ! » Joseph II prit la chose encore plus au tragique ; sa rudesse fraternelle passa vraiment toutes bornes dans la véhémente philippique dont les archives de Vienne conservent le curieux brouillon : « De quoi vous mêlez-vous, écrit-il à sa sœur d’un ton de pédagogue, de déplacer les ministres, d’en faire envoyer un autre dans ses terres, et de vous servir de termes très peu convenables à votre situation ? Vous êtes-vous demandé de quel droit vous vous mêlez des affaires du gouvernement et de la monarchie française ? Quelles études avez-vous faites ? Quelles connaissances avez-vous acquises, pour oser imaginer que votre opinion doit être bonne à quelque chose, vous qui ne lisez ni n’entendez

  1. Lettre du 13 juillet 1775. — Correspondance publiée par d’Arneth.