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grelot. Le but était toujours le même : la rentrée au pouvoir de Choiseul et de ses amis, avec pour conséquence la chute de Maurepas et de Turgot. L’heure paraissait propice. Maurepas était à Pontchartrain, tandis que le duc de Choiseul était présent à Reims, ayant eu permission du Roi d’assister à la fête du Sacre. En homme prudent, il s’y tenait dans une ombre discrète, laissant agir ses partisans et attendant pour se montrer l’occasion favorable.

Il parut politique, avant d’entamer la partie, d’obtenir d’abord pour le duc sa réintégration dans une des grosses charges de Cour, dont l’avait fait choir sa disgrâce. Qu’il retrouvât le titre et les fonctions de colonel-général des Suisses, cette première grâce serait le gage et comme l’avant-coureur d’une restitution plus complète. Besenval et Mme de Brionne endoctrinèrent le Comte d’Artois, firent briller à ses yeux l’honneur de gagner cette victoire. Il s’enflamma sur cette idée, promit d’en parler à son frère et tint effectivement parole. Mais Louis XVI, dès les premiers mots, l’arrêta d’un refus fort sec. Le jeune prince revint à la charge ; le Roi, cette fois, ne fit aucune réponse, mais prit un air d’humeur, et « lui tourna le des[1]. » Le parti résolut alors de frapper un grand coup et de faire donner la réserve. Il s’agissait de faire accorder à Choiseul une audience personnelle de Marie-Antoinette, un tête-à-tête où il exposerait à loisir ses sentimens et ses idées. Dans la fourmilière politique qu’était alors la ville de Reims, cette marque éclatante de faveur afficherait publiquement l’action protectrice de la Reine, l’engagerait davantage à user de tout son crédit pour vaincre l’aversion du Roi et emporter la réussite. Marie-Antoinette, avertie, entra délibérément dans ces vues. Elle résolut, pour mieux assurer le succès, de recourir aux petites roueries féminines où elle était experte.

Le lundi 12, lendemain du Sacre, profilant d’un moment où le Roi était seul, elle s’approcha de lui, le complimenta avec grâce sur les événemens de la veille, puis, dans le cours de l’entretien, glissa, « le plus naturellement du monde » et d’un ton innocent, que, pour son compte, elle aurait eu plaisir à causer un moment avec son vieil ami Choiseul, mais qu’elle était embarrassée et ne savait quelle heure choisir, « attendu qu’à

  1. Lettre de Mercy-Argenteau du 23 juin 1775. — Correspondance publiée par d’Arneth.